1. Le prix à payer (1)


    Datte: 22/10/2020, Catégories: Hétéro

    L’ambiance était lourde dans cette entreprise, et ce depuis plusieurs années. Elle avait d’abord été vendue à une société étrangère qui ne s’était pas accommodée de la structure familiale d’antan, et qui avait exigé plus de rentabilité, toujours plus, ce qui est soi-disant la modernité. Plusieurs directeurs s’étaient succédés, nommés par les propriétaires, pour remplacer les associés d’avant, et le dernier en date, aux dires des salariés, était plutôt du genre rigide, pas rigolo, froid, qui ne faisait pas dans l’empathie. Les ouvriers subissaient les nouvelles méthodes de travail décidées unilatéralement et arbitrairement, des réimplantations de locaux qu’ils jugeaient non réfléchies et en dépit du bon sens ; les salariés des services commerciaux et supports se plaignaient en aparté de pressions importantes pour pousser au chiffre, des petits managers, des petites responsables de service prenaient ces méthodes à la lettre et comme exemples, et se permettaient parfois des attitudes odieuses avec leurs subalternes ; les anciens bureaux, cloisonnés, avaient disparu pour faire place à un open space, plus "fonctionnel", "permettant la communication transversale", pour reprendre les poncifs et le verbiage en vogue de nos jours, au prix d’une déshumanisation certaines de ces espaces de travail, d’un bruit ambiant parfois néfaste à la concentration quand tout le monde était au téléphone en même temps, d’une disparition totale de la confidentialité (tout le monde voit ce que fait ...
    ... tout le monde, entend toutes les conversations y compris les échanges entre le salarié et son chef, et plus personne ne se permet de passer un coup de fil personnel) ; bref, l’entreprise vivait avec son temps ! — - - Irène, à 52 ans, était arrivée jusqu’à présent à surnager. Elle pouvait paraître privilégiée avec son bureau individuel au rez-de-chaussée, même si les cloisons étaient vitrées et donnaient sur le couloir et d’autres bureaux, comme celui de son directeur et ceux d’autres collègues du service R.H. Il est vrai qu’en tant qu’assistante de direction d’un patron très occupé, souvent en déplacement, elle faisait quasiment partie de l’équipe de direction puisque son boss lui déléguait pas mal de responsabilités. Des tâches dont certaines auraient pu passer pour ingrates mais aussi pour valorisantes, tout dépend de quel point de vue on se place. C’était l’archétype même de la fille qui savait comment survivre, surtout à ce poste. Il avait fallu se rendre indispensable, presque irremplaçable. Bien entendu elle ne se faisait aucune illusion : elle savait bien que personne ne l’est dans une entreprise, et qu’elle pouvait être remerciée au gré d’un changement de directeur ; un nouveau, en arrivant, peut toujours préférer travailler avec une nouvelle assistante qu’il aura recrutée lui-même, qui n’a aucune connaissance de l’entreprise et de son histoire, c’est-à-dire qui n’a aucun avantage sur lui comme aucuns liens aussi dangereux qu’anciens avec d’autres salariés, ou pire, de ...
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