1. Acte II : Thomas l'imposteur


    Datte: 20/10/2017, Catégories: cérébral,

    ... me faire changer d’avis. — C’est un rude métier, Thomas. C’est déjà un miracle que vous ayez tenu tout ce temps. Vous nous manquerez, mais je préfère ceci à vous voir alourdir la colonne des statistiques de suicides du service, vous les connaissez comme moi. Prenez des vacances, longues. On réglera votre situation avec élégance, plus tard. Je lui ai remis le rapport complet sur Cobra. J’ai simplement omis de mentionner Madame. Et plus encore que j’avais intercepté le dernier message de celle-ci, où elle confirmait sa venue à l’hôtel. Cobra ne l’a jamais reçu. À la place, sur une pure impulsion, j’ai usurpé l’identité de Madame et contrefait une réponse différente : Il s’est très vite consolé. Dix minutes plus tard, il annulait par courriel la réservation de la chambre 327. Qu’il ne me restait plus qu’à réserver. J’y suis assis à l’instant où je vous parle. Il est 16 heures 29. Vous pensez peut-être que je veux la sauver ? Ou la séduire ? Entrer dans le rôle qu’ils ont écrit ensemble ? Détrompez-vous. Je ne peux que la décevoir. Ses fantasmes la regardent, ils ne me gênent pas, mais ils ne sont pas les miens. Je vous l’ai dit, je n’aime pas ce qui est trop convenu, trop prévisible, trop prémédité, les chambres d’hôtel comme les pratiques sexuelles. Le sexe comme un karaoké : on se déguise, on se couvre d’accessoires, on monte sur scène, on suit les paroles sous-titrées à l’avance, préfabriquées. Je n’aime que l’improvisation, la puissance spontanée du free jazz, celui où ...
    ... les solistes se répondent et veulent donner à chaque note un accent inédit, réinventer leur musique, sans partition. Et puis de toute façon, je ne reproduirai pas l’erreur de ma jeunesse. User de mon pouvoir pour approcher une femme. Il m’en a trop coûté. Pourquoi suis-je là, dans ce cas ? Pour brûler mes vaisseaux. Pour traverser une fois pour toutes le miroir et cesser de regarder en spectateur inerte, me forcer à rejoindre enfin les vivants. J’ai agi sans trop réfléchir, comme si une nécessité me l’imposait. Cette femme l’ignore, mais c’est elle qui va me sauver. Elle sera déçue, ou furieuse, ou incrédule, peu importe. Elle ne saura jamais que je lui ai évité une déception bien plus cruelle encore, même si ce n’était ni mon rôle ni mon droit de l’empêcher. Je ne prétends même pas avoir agi par altruisme. L’envie m’en est venue, je l’ai saisie. Et puis, qui sait, si elle le veut, si à défaut d’un complice de jeu, elle trouve une énigme à résoudre, si elle trouve encore en moi une lueur d’humanité, si elle se convainc de ma totale bienveillance, je lui tendrai la main, je lui ferai une place. Je ne l’examinerai pas, je ne la « contrôlerai » pas, désolé, je n’ai fait que ça toute ma vie. En guise d’accessoires, elle ne trouvera sur le lit qu’une combinaison chaudement doublée et un casque intégral. Ma moto est garée sur le trottoir de l’hôtel. Je n’ai rien à lui promettre, sinon que je suis décidé à aller jusqu’au bout de la vie et de ses surprises. Moi, je n’ai emporté aucun ...
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