1. La vie...


    Datte: 07/12/2017, Catégories: nonéro,

    ... discuter, consoler … distraire. Bien sûr, au début, ce n’est pas facile. La maladie, les regards, les apparitions nouvelles, les disparitions soudaines … mais au fur et à mesure, tu deviens accro … Accro ? Accro ! Mon père utilise ce mot tellement actuel, tellement … branché. J’étais abasourdi. Je n’imaginais même pas qu’il puisse connaître ce mot. Comme quoi ! — Et maman, elle sait ?— Oui, maintenant, elle sait.— Comment ! Maintenant ?— Ben, au début, j’ai pas osé. Elle pensait que j’allais voir les copains au bistrot. Et puis un après-midi, on s’est rencontré dans les couloirs de l’hôpital. Elle venait rendre visite à une petite voisine, moi je sortais de sa chambre. D’abord, elle n’a pas compris, ensuite elle a eu peur et après elle m’a fait un peu la gueule. Et puis, on a parlé. Je lui ai expliqué. Je lui ai dit qu’à la retraite, c’était pire que le chômage. Tu sers à plus rien et t’as même pas l’espoir, un jour prochain, de pouvoir servir à quelque chose comme un chômeur peut, lui, espérer retrouver un emploi, une utilité. Elle a compris. Elle a beaucoup pleuré, moi aussi. Et depuis, de temps en temps, on y va ensemble.— C’est super ! Je savais pas !— Mais, y a plein de chose que tu ignores …— Quoi encore ?— Une autre fois … Pour l’instant, on va descendre, tu vas aller te laver la figure, on va déjeuner, on parlera un peu à table, avec les enfants. Ensuite, vous rentrerez et tu parleras avec Elisabeth. Mais avant de sortir, sache que notre porte est et sera toujours ...
    ... ouverte pour t’aider…— Dis, Pa’, pourquoi cette discussion maintenant ?— Je te l’ai dit …— Non, pourquoi tu ne m’as pas parlé comme ça, avant, quand j’étais môme ? Mon père, en s’extirpant du canapé, me regarde. — Tu sais, fils, devenir un Homme, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Bien sûr, tu grandis, tu réfléchis, tu te heurtes à plein de problèmes et après tu analyses et alors et seulement alors, tu grandis. Avant ! Avant, je ne savais pas. Ensuite, tu avais moins de soucis et tu ne m’aurais pas écouté, tu n’étais pas mûr … et puis moi-même, je savais pas, je n’imaginais même pas que nous étions dans une telle … mutation sociale, comme ils disent à la télé. Mais maintenant, je sais, j’ai compris et pour toi, il me semble que c’est le bon moment pour grandir. Avant de sortir, nous nous serrons fortement dans les bras, l’un de l’autre, comme une sorte d’accolade, un signe d’adoubement qui signifie "bienvenu au Club des Grands ! Bienvenu, enfin, dans le monde des adultes". En descendant les escaliers, mes idées noires, mes pensées sombres semblent rester derrière moi, là-haut, dans les étagères poussiéreuses du grenier de mon adolescence. Un grand rayon de soleil illumine le corridor de l’entrée du pavillon, d’où surgissent mes deux enfants. Au milieu de l’escalier, je m’arrête. M’assieds sur les marches de bois qui craquent sous le poids des pas, tends vers eux mes deux bras largement écartés. D’en bas, ils me considèrent avec une frimousse dubitative, se demandant ce que ...
«12...891011»