1. Trieur de souvenirs


    Datte: 14/02/2018, Catégories: fh, hplusag, inconnu, Collègues / Travail amour, cérébral, revede, Voyeur / Exhib / Nudisme Masturbation fgode, portrait,

    ... certainement une importance particulière à chaque phrase, à chaque mot qu’il prononce. Il faudra l’apprivoiser à nouveau avant de pouvoir continuer, et lui laisser le temps de digérer les émotions qu’il suscite. Il se lève à son tour et va se mettre derrière le piano. Il commence par quelques notes, en sourdine. Puis il plaque quelques accords, entame une transition tonale qui l’amène à un autre morceau. Il se contente d’esquisser la mélodie, comme s’il voulait juste remplir la pièce d’un peu de douceur, ou de paix. Il a l’habitude de ces interruptions. Il est là pour accompagner un passage, et le temps ne compte plus dans ces circonstances. D’ailleurs, les blocages peuvent autant venir des vivants que des morts. Combien de fois au cours de son travail n’a-t-il pas dû prendre du recul, changer d’angle d’observation, avant de percevoir les messages cachés par ceux dont il triait les souvenirs. Cette fois pourtant, la complicité s’était rapidement établie entre l’homme et lui. Il s’était d’emblée presque reconnu dans de nombreux traits de son caractère. Même s’il se savait incapable d’atteindre jamais une telle maîtrise de sa destinée, et de ses sentiments. À quel moment de sa propre mort accepte-t-on de lâcher prise ? Voir la femme aimée s’offrir à nouveau, est-ce ça le purgatoire ? Ou au contraire est-ce la voir se refuser pendant des années toute étincelle de joie, de plaisir, se complaire pendant des mois dans la douleur et le manque ? Sébastien ne doute pas que ces ...
    ... questions ont hanté l’homme aux derniers temps de sa vie. Comment l’expliquer à sa compagne ? En prenant exemple sur sa volonté de dépouillement, peut-être. Surtout ne pas jouer de rôle, ne pas chercher à prendre la place de l’autre. Être soi-même et se contenter de remettre ce qui est apparu. Être transparent. — Vous jouez si différemment de lui. Continuez ce morceau que vous venez de commencer, il le jouait aussi parfois. Après, laissez-moi, je vous en prie, c’en est déjà trop pour une première fois. Alors, il laisse courir ses doigts sur les touches, à plein clavier. Il joue pour lui-même maintenant, pour sortir de ce qu’il a vécu les dernières quarante-huit heures. Son travail est pratiquement terminé. Les cartons sont prêts dans le bureau du défunt, qu’elle en fasse ce qu’elle veut, peu importe. Comme beaucoup d’autres, elle ne lui demandera probablement plus de revenir et détruira tout ce qu’il a trié. Elle voulait juste de l’ordre. Aucune importance, Sébastien se sent riche de ce qu’il a reçu au cours de ces deux jours d’intense face à face. Une très belle personne, ce monsieur. Complexe à l’extrême, mais une belle âme. Elle ne lui a plus adressé la parole depuis qu’il s’est mis au piano. Les dernières notes s’envolent, il est temps de la quitter. Au moment de passer la porte, il l’entend pourtant poser une étrange question. — Vous avez regardé ses pipes ?— Oui, pourquoi ?— Quelle est la dernière date gravée ?— Le vingt-trois…— … non, attendez, ne dites rien, s’exclame-t-elle ...
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