Où sont passés les poivrons jaunes ?
Datte: 19/06/2017,
Catégories:
caférestau,
nonéro,
amiamour,
consoler,
... pleurs. Eh oui. Je suis une chialeuse, on se refait pas. Un soir qu’on dînait paisiblement avec les enfants, mon mari m’a regardée. Fixement. — Tu vas bien ? Je te trouve bizarre en ce moment. Depuis cette histoire avec Fabrice… je vois bien que ça ne va pas.— Mais non, ai-je menti (mal, si je puis l’avouer).— Pourtant je sais bien que tu n’es pas au mieux de ta forme. Regarde le plat de ce soir, sincèrement ? Je lorgnai mon assiette. Purée, steak. — Euh… je ne te suis pas.— C’est comme ça tous les soirs maintenant.— Euh…— Où sont les poivrons jaunes ?— Hein ?— Ou rouges, oranges… Les tomates ? Les carottes ? Un peu de vert, peut-être ? Du rôti au curry ? De l’entremet à la rose ?— Mais enfin chéri, qu’est-ce que tu…— C’est bien fade, tout ça, ça ne te ressemble pas. Tu t’éclates en cuisine, d’habitude. Y’a de la couleur partout. Depuis quelque temps, ça devient tristounet. Éberluée, je l’ai dévisagé un long moment. Il mangeait tranquillement, impassible, tout en me surveillant de temps à autre. Les enfants rigolaient entre eux, de la purée leur sortant des oreilles. La télé diffusait un rébarbatif reportage sur un certain Brodsky (poète reconnu que je ne connaissais évidemment pas) qui avait été arrêté pour attentat à la pudeur. Pour ma part, je pédalais dans la semoule. Mais c’est peut-être de l’art, ça aussi ? Rien qu’à l’imaginer, on sent bien que c’est tout un concept, ce pédalage de semoule. Ainsi je découvris que mon mari évaluait les degrés de mon bonheur familial à ...
... la teneur de nos assiettes. Intéressant. Bon et concernant mon affaire, que lui dire ? — Tu crois qu’un homme peut être ami avec une femme sans arrière-pensées ? lui ai-je demandé, à tout hasard. Il a haussé les épaules. — Non. Ce que j’ai toujours apprécié chez mon mari, c’est sa manière brute et incisive de clarifier le fond de sa pensée en très peu de mots. J’ai laissé tomber. Je savais que je n’en tirerais rien d’autre, de toute façon. J’aurais dû le questionner après une partie de jambes en l’air. Là, il est loquace ! * Alors, j’ai continué ma quête désespérée. Il fallait bien que je me raccroche aux branches. Que je trouve un sens à tout ce merdier. Un matin que je noyais mon cafard dans mon café noir, Pascal, le proprio du bar, est venu s’asseoir à côté de moi. — T’as pas l’air dans ton assiette, en ce moment, m’a-t-il lancé, et il brillait dans ses yeux cette petite lueur intriguée qui donne toujours envie de se confier aux gens qui écoutent vraiment. J’ai haussé les épaules sans répondre. Se confier, ça servait à rien. Plus rien ne servait à rien, d’ailleurs, si Fabrice n’était plus dans ma vie. Le comptoir était froid sous mes avant-bras nus. J’ai frissonné. — Allez, m’a encouragée Pascal, en me pressant l’épaule.— Boarf.— Mais encore ? Ce sont les petits qui t’en font voir ?— Nan.— Ton mari alors ?— Nan.— Le boulot ?— Nan ! C’est qu’il connaissait toutes les parties de ma vie, le Pascal. Faudrait que je songe d’ailleurs à me limiter, côté confidences aux barmen. Dès ...