1. Où sont passés les poivrons jaunes ?


    Datte: 19/06/2017, Catégories: caférestau, nonéro, amiamour, consoler,

    ... Bien sûr qu’on commence à prendre de l’âge, et alors ? Pourquoi nous faire constamment comprendre qu’on n’évolue pas, qu’on reste des gamins de vingt ans ? Alors que toi, tu es tellement mûre, intelligente, raisonnable !— Hum. Je pense que la prochaine fois, je vais prendre ma bagnole. Silence de mort. Alors, il a freiné puis s’est arrêté sur le bas-côté. Coupé le moteur. Surprise, j’ai coulé un regard dans sa direction. Il me scrutait. Le visage indéchiffrable. Je lui ai renvoyé la même figure, masquant ma colère du mieux que je pouvais. — Quoi ? finis-je par lancer, impatiente que cette dispute se termine.— Pourquoi est-ce que l’on se chamaille tout le temps ? m’a-t-il soufflé.— J’en sais rien. Dans un grognement : — Pourquoi est-ce que j’ai tout le temps envie de t’embrasser ? Engluée dans ma mauvaise humeur, j’ai mis un certain temps à comprendre qu’une énorme pierre était venue éclater la surface lisse de notre amitié. Et quand ça eut bien fait des remous partout dans cette flotte, jusqu’à ce que des vagues se forment et finissent en raz-de-marée, là, j’avais saisi. Je me suis redressée sur mon siège, le cuir a craqué, et j’ai braqué un regard stupide sur l’homme assis à côté de moi. Mon ami, depuis toujours. — Hein ? Et dans ce « hein », toute ma stupeur imbécile et crasse. Fabrice, lui, continuait à me fixer. — Qu’est-ce que tu racontes ? ai-je exhalé d’une voix à peine audible.— Tu as très bien compris, a-t-il répondu, à voix basse lui aussi.— Non, me suis-je ...
    ... obstinée, car je voulais par-dessus tout être bien certaine d’avoir tout saisi. M’embrasser… sur la bouche ? Fabrice continuait à me regarder… et continuait et continuait, et j’avais soudain en tête cette image dégoûtante de lui et moi enlacés dans cette voiture à faire des trucs pas très propres dans le dos de nos conjoints. — Réponds-moi ! ai-je insisté. Prise de vertige, ma main a cherché, maladroite et brusque, l’accoudoir de ma portière, et s’y est cramponnée, les doigts crispés sur le plastique. Parce que la tête me tournait, parce que je me sentais aspirée dans un trou sans fond, que je ne pourrais pas remonter même en enfonçant mes ongles et en me les cassant sur les parois glissantes. — Bien sûr, sur la bouche, a confirmé Fabrice dans un léger sourire tordu, comme posé de travers dans ce visage aimé. Et c’est là que j’ai décroché. J’avais beau m’agripper à cette portière comme si ma vie en dépendait, j’avais la sensation d’être tombée dans le vide. La rue était bordée de lampadaires, nous étions délayés dans leur sale lueur orange, et j’observais mon ami comme si, malgré tout, il était nimbé d’ombres. J’observais ses joues légèrement creuses, ses pommettes saillantes, les fines ridules qui étoilaient le coin de ses yeux verts posés sur moi. J’observais ses cheveux noirs dans lesquels s’effilaient quelques touches de gris, indécelables dans cette lumière artificielle, mais que je devinais, par habitude. J’observais la ligne de sa mâchoire, un peu fuyante, puis sa bouche, sa ...
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