Au coeur de l'espoir - Histoires de Sexe

Au coeur de l'espoir

... soixante ans, ou même plus ? En fait, j’ai seulement quarante-huit ans. Et vous, vous avez quel âge ?— Vingt-deux.— Vous avez la vie devant vous, alors. La rue, ça vous use prématurément un bonhomme. En dormant sur des bancs, l’hiver, je croyais que j’allais vite clamser à cause du froid. C’était d’ailleurs ce que voulais : m’endormir tranquillement dehors, pour ne plus jamais me réveiller sans que mon amour soit à côté de moi. Mais non, je suis toujours vivant, et chaque fois que j’ouvre les yeux, ma première pensée est pour elle. Où que j’aille, je me fais jeter partout, même dans l’autre monde. Il faut croire que j’ai une gueule qui ne leur revient pas, là-haut. Tandis qu’il parle, je lui tiens la main. J’ai trop peur qu’il s’enfuie, et de me retrouver toute seule. Ça va, il n’est pas trop abîmé : il se laisse apprivoiser. Je prends sur moi pour lui sourire afin qu’il ne parte pas. Un nouveau temps de silence. Nos regards se croisent. — La vie, reprend-il, elle vous promet tout, vous donne tout, et un matin, hop : plus rien ! Vous vous croyez en sécurité, vous êtes un inclus, bien au chaud, et c’est au moment où vous vous y attendez le moins que vous recevez la grosse tuile. Maintenant, au moins, je ne risque plus rien : je n’ai plus rien à perdre. C’est pour ça que les gens me regardent de travers : je leur fais peur parce qu’ils savent très bien qu’ils risquent à tout moment de tomber comme ça m’est arrivé. Il s’interrompt, me dévisage un moment, et reprend : — Mais ...

... dites, vous n’étiez pas à la soupe de Saint-Eustache, tout à l’heure ? Il me semble vous avoir vue de loin.— Eh oui, j’y étais.— Je viens souvent. Ils sont comme une nouvelle famille. Sans eux, j’aurais jamais tenu. Vous avez un beau visage, et un joli sourire.— Merci. Vous aussi, vous pourriez être séduisant si vous étiez propre sur vous. Vous avez des enfants ?— Non, on n’a jamais pu en avoir. C’est peut-être pour cela qu’elle est partie. Elle n’a jamais voulu me dire pourquoi elle m’a quitté brutalement. Tenez, j’ai envie de vous montrer quelque chose que je regarde souvent tout seul, mais que je n’ai encore jamais montré à personne. Il sort une liasse de photos de sa poche. — C’est ma femme. Enfin, mon ex-femme : je ne parviens toujours pas à m’y faire. Elle m’a laissé la prendre en photo nue, derrière les dunes, lorsque nous étions en vacances. C’était le dernier été où nous étions ensemble. Des images d’une épouse dénudée. Sur certaines, qui sont mal cadrées et surexposées du fait du déclenchement retardé, ils font l’amour sous le bleu du ciel. La faible clarté orangée d’un lampadaire au sodium ne permet pas de bien voir les détails. Deux corps sont enchevêtrés en pleine lumière, épidermes dorés, nus, cœur-à-cœur sur le sable chaud. L’Eden. Lorsqu’on est plongé dans la nuit, le contraste est saisissant, et on a peine à croire que le jour a existé vraiment, que les souvenirs ne sont pas des rêves. La dame est belle, en tout cas nettement plus jeune que son mari, même à trois ...