Douze mètres sous la surface, Alain et Eve...
Datte: 31/07/2018,
Catégories:
nonéro,
mélo,
sf,
... et sur moi-même, je m’allongeai dans une chaise longue, avec un bouquin pris dans la petite bibliothèque qu’Alain avait installée sur deux étagères branlantes. « La guerre de la fin du monde», de Vargas Llosa. Alain m’avait expliqué la monomanie de Yann Keller. J’imaginais très bien les amis du vieux fou se moquer gentiment de lui en lui offrant un florilège des bouquins ayant trait, de près ou de loin, à son unique obsession. En l’occurrence, le bouquin de Llosa parlait d’un prophète dans le désert du Nordeste, au Brésil, se levant contre une république trop musclée. Il avait rassemblé gueux, prostituées, monstres de foire et autres bandits pour fonder une sorte de paradis libertaire. Leur cité, rebelle aux lois, refusait en bloc le paiement de l’impôt, le système décimal, le recensement, la circulation de l’argent et l’économie de marché… Ils avaient fini par tous succomber, après trois opérations militaires sanglantes. Alain et moi formions à nous deux une mini communauté à l’équilibre fragile, menacée par le chaos, tout comme la cité de Canudos. Et si nous en étions là, c’était à cause de la faillite de certains idéalismes, que d’aucuns appelleraient extrémismes… Le terrorisme international, le nationalisme intégriste, la course aux armements. Tout ça avait débouché sur l’horreur absolue. Contrairement à Alain, je ne pensais pas que nous allions affronter un hiver nucléaire. Dans quelques années, il nous faudrait donc sortir de l’abri pour aborder à nouveau les rivages ...
... du monde, ou plutôt ce qu’il était devenu. La violence n’aurait pas disparu, loin de là, et nous ne pourrions compter que sur nous-mêmes pour survivre. C’était ça ou crever au fond de notre trou. Alors, que voulais-je réellement ? Vivre et rebâtir ? Ou bien disparaître, rejoindre Piotr et les membres de nos deux familles décimées ? S’il y avait un message dans le cauchemar récurrent qui mettait en scène mon mari, c’était bien de ne pas baisser les bras, de continuer à vivre pour justifier son incroyable sacrifice. Et en tout premier lieu, de me nourrir. Reconstruire ma chair, mes muscles, pour pouvoir un jour me battre en son nom. J’avais lu que les peuplades cannibales rendaient hommage à leurs ennemis vaincus en les dévorant. Et par la même occasion, ils croyaient fermement acquérir certaines de leurs aptitudes ou dons naturels. Moi, j’avais fait de mon corps un tombeau. Un sépulcre où, j’en étais persuadée, survivait l’esprit de Piotr. Son sang coulait dans mes veines, ses atomes étaient présents dans mes cellules. Tant que je serais là, il ne mourrait pas vraiment. J’étais peut-être la dernière personne sur terre à savoir qu’il avait vécu, aimé, qu’il s’était battu pour ses rêves. Et j’étais la seule à pouvoir les réaliser, maintenant. J’avais fait mon choix. Il était définitif. ooOOoo Quand j’entrai dans la cuisine, Alain était en train de tripatouiller la Cibi. Depuis qu’il était tombé sur mon message de détresse, il y a près d’un mois, il était convaincu qu’on pouvait ...