1. Rhapsody in blue - Troisième partie


    Datte: 07/10/2018, Catégories: fh, regrets,

    ... dix-neuf heures. Et devinez quoi ? J’ai faim. Je me lève doucement et, pieds nus, me rends à la cuisine ; me fiant aux dernières lueurs du jour déclinant. J’attrape deux carottes au fond du frigo, et retourne dans le séjour. Immobile devant les grandes baies vitrées, je grignote ma première carotte ; je me sens un peu nauséeuse. Un coup d’œil vers le lit m’apprend que tu n’as pas bougé d’un poil. Étendu sur le ventre, la tête tournée de côté, tes joues teintées d’une barbe naissante, tu dors à poings fermés. Je souris en constatant que tu as gardé tes lunettes, et vole te les ôter d’une démarche aérienne. Tu ne bronches pas, et je m’écarte du spectacle angélique que tu m’offres. De retour devant les baies vitrées, je contemple avec attention les ombres et lumières, floues et éparpillées, des rues en contrebas. La nuit ronge déjà les trottoirs, les carrosseries brillantes des voitures, et gagne peu à peu la frondaison des arbres, obscure et oscillant dans le vent. Quelques nuages pâles s’étirent en un bleu blême sur fond d’encre, au-dessus des montagnes. Je surprends la lueur clignotante d’un avion survolant le lac, au loin. Je la suis des yeux un moment, comme fascinée, et soudain, sors sur le balcon, exposant mon corps totalement nu à la fraîche morsure du vent. Un frisson me parcourt, puis je m’habitue, et avance jusqu’à la balustrade. Mes cheveux flottent devant mes yeux comme des algues gracieuses. En face de moi, une lumière s’allume, tout en haut d’un immeuble deux fois ...
    ... plus élevé que le tien. Je regarde avec intérêt la silhouette presque fantomatique d’un homme. Il passe d’une pièce à l’autre, allumant toutes les lumières sur son passage. Puis, plus rien. Je comprends alors qu’il est lui aussi sorti sur son balcon. En plissant les yeux, je le vois, sombre et tendu, accoudé à la balustrade. Je suis pétrifiée. Il regarde dans ma direction… je reste immobile un long instant, le cœur battant la chamade, le fixant intensément. J’éprouve une sensation brûlante et épidermique, comme si ses yeux glissaient sur ma tenue d’Ève avec une lenteur toute pleine de précision. Enfin, l’homme semble se détourner. Je respire alors plus calmement, et finis ma première carotte. Cet étrange échange de regards ravive à ma mémoire un événement du même acabit, qui s’est déroulé cet après-midi même. J’étais dans ce café hyperchic dont je ne me souviens toujours pas du nom. Je dégustais un croque-monsieur exsangue mais hors de prix, affligé dans une assiette trop grande pour lui et surmonté d’un cornichon rabougri ; lorsqu’en levant les yeux, j’ai croisé le regard d’un homme, assis comme moi, seul, à une table, un peu plus loin. Il me fixait avec une intensité déroutante. Je me suis sentie gênée, et j’ai plongé dans la contemplation du menu, ouvert devant moi. Lorsque j’ai à nouveau risqué un regard nerveux dans sa direction, il m’observait toujours, mais cette fois, son petit sourire horriblement cynique ne m’a pas échappé. Je me suis alors sentie seule, triste, et ...
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