1. Rhapsody in blue - Troisième partie


    Datte: 07/10/2018, Catégories: fh, regrets,

    ... furieuse. Le pire, lorsqu’on se trouve dans cette situation – solitaire dans un café bourré de monde, de couples, de bandes d’amis, de professeurs, etc. – c’est d’apercevoir la seule autre personne seule assise à une table. Apercevoir cette personne, croiser son regard, c’est percevoir le reflet de sa propre solitude dans ses yeux. Cet homme qui me fixait avec ce sourire que j’aurais voulu arracher, se reconnaissait dans mes yeux autant que je me reconnaissais dans les siens, pour ce que j’étais exactement, à ce moment-là, mais aussi dans ma vie quotidienne, c’est-à-direseule. Assurément, ce type m’a davantage déprimée qu’un long discours. Pire encore, il m’a donné la nausée. On essaie de se convaincre que tout va bien, que tout va s’arranger, qu’on a des amis qui nous aiment, une famille sur qui compter, qu’on fait des études intéressantes ; etpatatras, on tombe sur un homme qui vous rejette parfaitement à votre place ; en l’espace d’une seconde et demie, avec des yeux et un sourire inhumains, il semble vous susurrer votre solitude à l’oreille comme vous lui susurrez la sienne bien malgré vous. Impossible de berner celui qui sait, il sait parce qu’il le vit ; impossible d’interpréter les choses d’une autre manière, pour une réalité il y a toujours plusieurs interprétations possibles, mais une seule vérité. Et la vérité, c’est qu’on peut espérer tromper tout le monde, faire comme si, faire semblant, mais mieux vaut ne pas se faire d’illusions : il suffit qu’on croise l’autre ...
    ... et pourtant le même, la solitude vous tombe dessus comme un piano sur la tête. Subitement on comprend ce que l’on est et ce que l’on n’a jamais cessé d’être : un individu plus triste et plus seul qu’une pierre au fond d’un jardin abandonné. Tout cela était d’un tel pathétisme que je me suis levée et que je suis partie sans même finir mon assiette. De rage à l’évocation mentale de cet épisode honteux, je décapite ma seconde carotte d’un coup de dents. Et mastique avec énergie. Et ouvre soudain les yeux. Je suis toute nue sur un balcon obscur, devant une ville obscure, à jurer entre mes dents et à envoyer au diable tous les types de la terre – bon sang, nous sommes le quinzemars. Et je me balade à poil devant tous ceux que ça pourrait intéresser ! (remarque à diriger vers l’immeuble d’en face et l’obsédé voyeur de tout à l’heure.) – Tu es folle de rester dehors comme ça, Eva ! me lance une voix courroucée. Je me retourne, juste à temps pour recevoir une couverture pelucheuse sur les épaules. Je te regarde sans mot dire. Dans l’obscurité grandissante, tes yeux brillent d’un éclat étrange. – Tout va bien ? demandes-tu avec sollicitude. Dans le même temps, tu m’as serrée contre toi. Je reste immobile, attentive, mais toujours aussi triste. J’entends les battements de ton cœur. – Oui, ne t’inquiète pas. On rentre ? Nous revenons dans le studio, et tu me laisses pour aller allumer une lampe. Puis tu t’adosses au mur, à quelques mètres de moi. Je constate que tu as passé un pantalon. ...
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