1. Corps céleste


    Datte: 20/06/2017, Catégories: amour, historique,

    ... d’autant plus maintenant, après tout ce qu’il a raconté. Sur la muraille, ils découvrent la prison d’Angèle, suspendue au mur, exposée, comme on exposait les suppliciés ; c’est poignant pour eux tous dont les yeux vont de l’étiquette de Tamara à cet étrange appareillage, presqu’une sculpture à la Dudu mais désincarnée, désertée de toute volupté, de toute jubilation. Ils ont les yeux posés dessus et mille pensées les agitent, chacun songeant à l’épisode de ce récit qui l’a le plus ému. Laurence tout ébouriffée encore de pétales et de féminité ne regarde pas avec les yeux du jeune et ceux de l’artiste contemplent autre chose, mais pourtant le même objet sous leurs regards. Tous essaient d’emplir la cage, de la gonfler des pulsations inquiètes de la chair d’Angèle. Et le malheur, c’est que chacun y parvient. Tous sentent résonner dans leur corps et dans leur âme, les tourments d’Angèle. Mentalement, ils balbutient courage… C’est le vieux qui les tire, très prosaïquement, de ce marais où leur esprit est enseveli. « Me direz-vous d’où vient cette bouteille dont je ne connaissais l’existence que par les récits de mon père ? La guerre nous a pris beaucoup de choses et de ma tante, il ne me restait que ce qu’Ange m’en avait dit, désolé qu’il était de ne pouvoir me montrer ce que les Allemands avaient dilapidé… » Le jeune, sans même les regarder, sent braquée sur lui toute la pesante interrogation de leurs regards. Il se tortille, ne sachant par où commencer, conscient que le ...
    ... commerce qu’il fait de ses photos paraîtra si indécent tout d’un coup, mais se lance parce que de toute façon quoi faire d’autre ? Il faut ajuster les dernières pièces de ce puzzle. « Je suis parti en mission à Baltimore, il y a un an et demi. Un truc spécial… Depuis plus d’un demi-siècle quelqu’un fleurit la tombe de Poe, vous savez ce mec que Baudelaire admirait. Il y pose des roses blanches et une bouteille de cognac. Je devais faire des photos pour un commanditaire qui fait dans le sensationnel. » Presque il chercherait à se justifier, la frontière paparazzi, poète, artiste lui apparaît soudainement si nette, si tranchée. Il se demande où se situer exactement. L’ami de Dudu, celui de Laurence, mais ses photos de l’autre à l’affût, à y repenser, il en est moins fier. Surtout après l’histoire de l’Angèle et du François. Mais il continue, vaille que vaille pour sortir un poids, finalement c’est lui qui les a tous conduits devant cette muraille où le souvenir du galbe des seins d’Angèle les fusille d’un regard vide. Alors aveugle, il plonge : « C’est mon métier de satisfaire ce genre de commande. J’ai planqué dans ce fichu cimetière, bien avant la date anniversaire, je savais que je le coincerais. Attendre juste. Une patience de guetteur, comme Buzzati vous voyez… » Il est dedans maintenant, on ne l’arrêtera plus, tout à son affaire, qu’il maîtrise comme pas deux. Il raconte l’installation, les camouflages, les veilles et pisser ce truc simple mais si compliqué quand on planque, ...