Corps céleste
Datte: 20/06/2017,
Catégories:
amour,
historique,
... ils finirent par parvenir à l’élaborer. François était comblé mais Angèle voulait bien plus. Lui donner bien plus que cette fine qu’ils avaient conçue de leur amour, bercé de leurs chants, voluptueusement élevée jusqu’à rivaliser avec le nectar des dieux. Une nuit, elle l’a conduit au bord de son rêve le plus fou. Elle lui a offert ce qu’il n’avait jamais osé nommer. Seul François aurait pu vous dire comment cela advint. Mais François qui est mort depuis bien longtemps y laissa vite sa raison. Cette femme, ma tante, se savait perdue pour la vie. Mais elle se sentait tout aussi éperdue d’amour pour celui avec lequel elle était parvenue à faire scintiller une étoile et la hisser ensuite au firmament qu’elle y reste brillante. Leur fine était suspendue au firmament, telle une légende, nul ne pouvait en douter. Rien ne pourrait l’atteindre car elle était entrée dans un cercle très fermé, elle savait qu’à l’évocation d’un nom et d’une année, les visages des amateurs se recueilleraient comme au souvenir d’une œuvre d’art. Cette œuvre d’art était la moitié de l’amour qu’elle portait à François. Avec le même désir d’achèvement, elle lui a offert l’autre en libérant son corps du corset qui le ceignait. Après l’inhumation d’Angèle, Ange et François ont tiré vingt-quatre bouteilles du tonneau. L’âge d’Angèle. Mon père, que son désintérêt pour le cognac avait introduit dans le Paris cosmopolite et artiste, a commandé à Tamara de Lempicka l’étiquette de votre bouteille. Il voulait que ...
... tout ce qu’avait été sa sœur y fût raconté. Sa beauté, son martyre, son absolu désir d’élévation, cette liberté pleine, entière, totale qui l’habitait tant quand il la croyait si esclave de ce corps que la vie lui avait donné pour geôle. Vous la voyez là, fière et rayonnante, femme par-dessus tout avec ces seins dont la tôle réprimait si peu le farouche désir d’émancipation, et ce coquillage, impudique peut-être diraient des esprits étroits, mais ce coquillage qui énonce son renoncement et le recommencement de toute chose. Je sais que Lempicka, émue de cette histoire, n’a rien demandé à mon père. Et cette affaire l’a tant bouleversée, je crois, qu’elle est repassée de loin en loin dessus, ici une nature morte au coquillage, là une autre toile au ciel brumeux avec pseudo buste de David par del Verrocchio, mais les quelques qui savaient ne s’y trompaient pas et reconnaissaient ma tante sous les traits si efféminés du David. « Je crois vous avoir tout dit. Il ne me reste plus qu’à vous montrer le souvenir d’Angèle. » Et, tout en parlant, il se lève, ouvre un lourd rideau de velours cramoisi, du même aspect que les tentures du Salon Rouge dans la maison de Pierre Loti, pas très loin de Cognac. Cette étoffe se mariait si bien à l’atmosphère fossilisée des lieux que nul n’y avait pris garde. Les tableaux tout autour accrochés sur ce fond, une ambiance très XIXème, très d’un autre siècle. Et ils se disent que le vieux tout pareil, fossile d’une époque révolue, s’en convainquent ...