1. Les ombres de Jeen


    Datte: 12/10/2018, Catégories: nonéro, fantastiq,

    ... fait mes bagages. Et j’ai quitté ce pays si vite qu’il y a eu de la poussière derrière moi. Sébastien la regardait, ses yeux attentifs fixés dans les siens. – Vous n’avez jamais revu vos parents ? demanda-t-il enfin. – Jamais. – Et que diable voyiez-vous pour qu’ils vous internent ? – Ce que je viens de vous décrire. Les ombres. Vous, les humainsnormaux, vous ne savez rien de ce que je vois. Vous pensez connaître votre ombre, n’est-ce pas ? Vous n’avez jamais eu peur d’elle ! Évidemment, c’est vous, c’est votre forme. C’est quelque chose auquel personne ne pense jamais. Mais qu’est-ce que c’est, une ombre ? Une silhouette projetée sur le paysage environnant, par le soleil ou une source de lumière ; enfin, c’est ce que vous vous dites, hein ? Je l’ai cru moi aussi. Jusqu’à ce que je voie ces ombres prendre une forme que nul n’avait dans les lieux où j’étais. J’avais environ cinq ans. Personne ne m’a crue. On a dit que j’avais une imagination fertile. Au début, j’ai refusé de comprendre. Mais ce n’était pas mon imagination. À l’asile, c’était pire. Elles étaient toujours là. J’ai longtemps été persuadée que c’était la mort qui venait me chercher, parce que j’avais fait quelque chose de mal. Parce que j’avais laissé mon oncle me toucher quand j’étais petite fille. Alors je pensais qu’on allait me punir. Puis je me suis demandé pourquoi personne n’avait peur de son ombre. Elle imite tout ce que nous faisons, puisque c’est notre reflet. Et il y a une explication physique, ...
    ... logique, rationnelle, à ce phénomène. Mais, demandez-vous : et si notre ombre était la part cachée du mal qui sommeille en nous ? Comme un reflet dédoublé, nous, faits de chairs et d’os, êtres moraux vivant en société, et elles, ces ombres sans corps, ces formes sans matière qui glissent sous nos pieds, démons envoyés par le malin pour nous épier, nous obliger à commettre les pires actions. Si elles n’étaient pas là, peut-être que le mal n’existerait pas. – Mais enfin, c’est du pur délire ce que vous me chantez là ! s’exclama Sébastien. On se croirait dans un film fantastique ! C’est même carrément de la science-fiction ! Jeen eut un sourire ironique. – Et quelle est la limite entre lanormalité et lafiction, monsieur ? interrogea-t-elle d’une voix plus dure. Entre la réalité et les chimères ? Où se trouve la norme, à votre avis ? Parce que personne ne croit à son jumeau diabolique, soumis à nos pieds jusqu’à ce qu’il se dresse et nous pousse au mal, parce que tout le monde ne voit pas ce que je vois, ce n’est pas normal ? Je suis folle ? Parce que la science ne peut pas expliquer les phénomènes que je vois, je suis folle ? Ces filles, au Portugal, elles ont disparu, on ne les a jamais retrouvées. Elles se sont évanouies dans leur obscurité. Vous pourrez vérifier dans les archives. Ils restèrent silencieux, lui complètement dérouté, elle tranquillement adossée à l’escalier, les yeux vides, fixés sur ses photos. – J’ai découvert la photographie, peu après, poursuivit-elle d’une voix ...