Les ombres de Jeen
Datte: 12/10/2018,
Catégories:
nonéro,
fantastiq,
... faux. Mais ce que je t’ai raconté, c’était vrai. Entièrement vrai. Il voulut ajouter quelque chose, mais elle avait déjà refermé la porte. Il hésita. Puis enfin, se décida à rentrer chez lui, songeur et troublé. Et pour une raison qu’il ne s’expliqua pas, il évita le parc. V. – Comment avez-vous réussi cet exploit ? s’exclama Myriam Granger, levant sur lui un regard où on lisait profonde admiration, et anticipation du succès à venir. Stéphane haussa les épaules. D’un air modeste. – J’ai travaillé tout le week-end, se contenta-t-il de dire. Ma femme a cru que j’allais m’arracher les cheveux. – Certes, mais ça n’explique pas tout ! Où avez-vous été pêcher cette histoire de fille échappée de l’asile qui voit des ombres dans lesquelles le mal s’incarne ? On dirait vraiment une interview, une vraie ! Vous avez inventé ou quoi ? Stéphane se rappela, avec un sentiment d’affolement qu’il repoussa à grand-peine, l’image de Jeen. Enfin, la prétendue Jeen. Elle lui avait semblé si innocente, si timide, si fragile… et si normale ! Comment aurait-il pu imaginer que la gentille photographe n’était en fait qu’une folle calculatrice et manipulatrice ? Mais était-elle vraiment… folle ? – J’ai suivi votre conseil, madame, dit Stéphane en regardant sa supérieure droit dans les yeux. J’ai un peu bricolé la vérité. Il y a du vrai et du faux dans cette histoire. Parce que ...
... s’il n’y a que du vrai, eh bien… eh bien, je préfère ne même pas y penser. Elle eut une moue approbatrice, puis se leva, l’invita à faire de même, et le félicita chaudement dans un serrement de main. Ses yeux bleu polaire rivés à lui. La lionne qui étudie sa proie. Quand il sortit du bureau, Stéphane se sentait vidé. Et il eut un inexplicable frisson en remarquant son ombre glisser sur la moquette du sol. Il retourna chez Jeen une semaine plus tard. Comme ça. Pour rien. La maison était entièrement fermée, volets clos, boîte à lettres vide. Il apprit par les voisins qu’elle avait déménagé dans le courant de la semaine. En pleine nuit. Personne ne savait où elle était partie. Personne ne voulait le savoir. Jeen, t’es-tu évanouie dans ta propre obscurité ? se demanda pensivement Stéphane, assis dans l’herbe, contemplant la tonnelle de lierre et de glycine du parc. Il n’imagina aucune réponse rationnelle à cette question. Où qu’elle soit, elle serait dans l’ombre. L’ombre des hommes. Il reçut une grosse enveloppe deux mois plus tard. Elle contenait les clichés que Jeen avait pris de lui. Le courrier provenait du Nouveau-Mexique. Seule preuve qu’il n’avait pas inventé la singulière personne qu’était Jeen, la photographe démente. Plus jamais il ne la revit. Mais toute sa vie, une petite frayeur le saisit à chaque fois qu’il posait le regard sur son ombre.