Les ombres de Jeen
Datte: 12/10/2018,
Catégories:
nonéro,
fantastiq,
... cassée. Les photographies ne mentent pas. Toutes celles que vous voyez accrochées à ces murs, ce sont tous les endroits où je sais que la nuit règne, même pendant le jour. Des portes de l’enfer ? Des entrées sur une autre dimension ? Des êtres malfaisants nichés dans la terre et ressortant au moment propice ? Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Je n’y comprends rien. Ces lieux sont mauvais, voilà tout. Je le sens. Et si je restais la nuit, j’y verrais des ombres chuchotantes, et elles viendraient me prendre. Et moi aussi, je retournerais dans ma propre obscurité. Croyez ce que vous voulez croire. Un jour, je sais que j’en ferai partie. Mais parfois, je me demande si nous ne sommes pas déjà tous dans la fiction. Si ce que l’on fait vient de nous, ou si quelque chose d’autre guide nos actes, vers le bon ou le mauvais. Vous croyez en Dieu, vous ? Moi, je ne sais pas. Si je crois au mal, je devrais logiquement croire en Dieu, n’est-ce pas ? Il ne sut que répondre. Elle sortit ses lunettes d’une poche de sa tunique, les essuya minutieusement. Dans ses yeux bleus, toute la détresse du monde. – J’ai peur, dit-elle enfin. Mais personne ne peut comprendre ce que je ressens… Stéphane sembla alors enfin trouver le moment opportun : – Je… je voudrais vous avouer quelque chose, murmura le jeune homme en se levant, péniblement. Je ne m’appelle pas Sébastien, mais Stéphane. Et je ne voulais ces photos de moi que pour usage privé : je ne suis pas mannequin, je ne vais pas les envoyer à des ...
... agences. Enfin, je ne sais pas. Parce que je vais peut-être me faire virer. Mais à vrai dire, si vous me laissez faire… peut-être que je ne le serai pas. Je suis journaliste, Jeen. – Oui, je sais, répondit-elle, imperturbable. Il fut décontenancé. Elle le regarda avec un gentil sourire. – Je sais, répéta-t-elle. Je voulais te rencontrer. Je voulais que tu racontes mon histoire. J’ai demandé à ton collègue, Paul, de te conseiller mes talents de photographe. J’ai vu la rubrique dont tu t’occupes dans ton magazine. Et je voulais que tu écrives mon histoire. Stéphane se sentit devenir blanc comme un linge. Il ne fit même pas attention au brusque tutoiement qu’elle avait utilisé. Du coup, il se rassit. – Alors… alors… balbutia-t-il. Vous m’avez menti ? Tout ce que vous m’avez raconté, c’était du pipeau ? Vous vouliez juste voir votre nom dans le magazine ? C’était faux, hein ? Elle le regarda fixement, un étrange sourire aux lèvres. – Peut-être, éluda-t-elle. Je veux que tu t’en ailles, maintenant. Trop furieux et surpris pour répliquer, il la suivit jusqu’au seuil de la porte. Il allait sortir quand elle le retint par la manche. Ses yeux semblaient profondément enfoncés dans leurs orbites, comme si elle était ivre. Elle regardait à travers lui. – J’ai pas mal vécu, tu sais, Stéphane, annonça-t-elle d’un ton las. L’asile, ça t’aide à vieillir plus vite. J’ai l’impression d’avoir cinquante ans, parfois. Tu peux citer mon nom, de toute façon, Jeen n’est pas mon prénom et mon nom aussi est ...