Les ombres de Jeen
Datte: 12/10/2018,
Catégories:
nonéro,
fantastiq,
... régnait dans le parc. C’était le mois de septembre. L’automne se remarquait déjà dans les teintes ocre et or des feuilles, dans la fraîcheur du soir. Sans en avoir conscience, Jeen ferma les yeux. Ses doigts serraient très fort l’appareil photo qui pendait autour de son cou. Elle écouta le vent dans les branches, haut au-dessus de sa tête, les bruits d’éclaboussures que produisaient les deux enfants, à quelques mètres d’elle. Un chien aboya quelque part, des enfants criaient, près du kiosque, à ce qu’il lui semblait, un oiseau vint se percher dans les ormes qui bordaient l’allée, et se mit à chanter. Un étourneau, sans doute. Les yeux toujours clos, Jeen continua à marcher, au hasard d’une odeur, d’un son. Elle respirait lentement, profondément. Puis les bruits parurent s’amenuiser, s’étouffer. Le vent cessa d’agiter les feuilles autour d’elle. L’oiseau ne chantait plus. Elle entendait encore les enfants, mais de très loin, comme si elle avait enfoncé du coton dans ses oreilles. Avec lenteur, Jeen ouvrit les yeux. Sur ses bras nus, son poil se hérissa. Son regard se durcit, son visage se figea dans un masque de concentration. Devant elle s’étendait un étroit chemin de terre, croulant sous une tonnelle de lierre et de glycine, et frangé d’un tapis d’herbe vert tendre. Le coin aurait pu être charmant. Mais il ne l’était pas. Le cœur battant la chamade, Jeen leva son appareil photo, avec une minutie qui évoquait non seulement l’application, mais aussi la prudence. Ne pas faire ...
... de mouvements brusques. Ne pas troubler la nature environnante. La nature, et cette autre chose aussi, qui la plongeaient dans l’angoisse la plus totale. Mais Jeen tint bon. Cette fois, elle ne fuirait pas devant le danger. Non pas qu’elle n’en eut pas envie – ellecrevait d’envie de prendre ses jambes à son cou, d’ignorer ce qu’elle ressentait en cet endroit, de tourner le dos à ses doutes, à ses peurs, de ne plus jamais remettre les pieds ici. Elle l’avait fait tant de fois. Elle savait ce que voulait dire la lâcheté. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, elle allait immortaliser ce lieu. Le graver à jamais sur une pellicule. Les photos ne mentaient pas. Elle braqua l’objectif sur le chemin. Sombre, touffu, il semblait à la fois l’attirer et la repousser dans ses derniers retranchements. Mais elle tiendrait bon… Le visage couvert de sueur, elle regarda dans le viseur. Il n’y avait plus d’enfants, plus de parents, plus personne autour d’elle. Elle était seule. Plus de fontaine d’eau jaillissant derrière elle dans le bassin, plus de bassin, plus de sol où elle avait enraciné ses pieds, il n’y avait même plus de parc. Il n’y avait plus que ce bout de paysage dans le viseur carré de son appareil photo. Ce morceau de monde où la noirceur et la lumière se confondaient, fusionnaient. Pas un bruit. Pas un souffle d’air. Ses jambes chancelantes. Elle retint sa respiration. Et les «clac » du flash résonnèrent longtemps à ses oreilles, comme un immense vacarme dans ce silence trop lourd. ...