Les ombres de Jeen
Datte: 12/10/2018,
Catégories:
nonéro,
fantastiq,
... Arrivée chez elle, Jeen se dirigea immédiatement vers son labo photo. Une heure après, elle se tenait devant les fils où séchaient les tirages. Un sanglot bloquait sa gorge, ses yeux étaient remplis de larmes. Ils étaient fixés sur les photos. Elle en avait pris dix. Dix photos représentant un bout de tonnelle, un fragment de chemin terreux, quelques brins d’herbe, dix photos qui luisaient à la lumière rouge de l’ampoule, leur banalité et leur inutilité lui explosant au visage comme une claque en pleine figure. Des couleurs éclaboussées de normalité, des lieux et des objets crevant ses yeux de leur insignifiance. Quasiment les seules preuves qu’elle n’était pas folle. Piètres preuves à vrai dire. Presque rien. Les mains tremblantes, elle détacha les tirages, passa l’heure suivante à les disposer dans des cadres. Sur le dos de chacune des photos, elle écrivit : « 18 septembre 2001, 17h30. Parc des Prébendes. » III. Il la repéra tout de suite. Elle était assise sur les marches de bois du petit belvédère, face au pont. Le menton dans la main, son coude appuyé sur ses genoux, elle semblait regarder la voûte des arbres. « Méditation sur la condition humaine », se dit-il avec un sourire en biais. Elle tourna la tête au bruit de ses pas, et son visage constellé de taches de rousseur s’éclaira d’un sourire. – Bonjour monsieur, le salua-t-elle en lui serrant la main. Vous êtes pile à l’heure. Je crois que c’est le meilleur moment : la lumière est vraiment bonne. Il haussa les ...
... épaules, jeta un coup d’œil autour d’eux. – Vous voulez que je me mette où ? demanda-t-il simplement. À son tour, elle regarda le parc. Ses yeux se plissèrent. Les rayons du soleil étaient oranges et aveuglants. La lumière était si particulière, en automne. – Là-bas, décida-t-elle fermement. Sur le pont. Il suivit la direction de son regard, hocha la tête en signe d’assentiment, et se préparait à changer de place quand il surprit le coup d’œil inquisiteur que la jeune fille posait sur sa tenue. – Que se passe-t-il ? fit-il vivement. Mon costume ne va pas ? Sa peau prit une délicieuse teinte rose, et elle battit des paupières avec nervosité, tandis qu’il la regardait curieusement. – Oh non, pas du tout ! se défendit-elle avec précipitation. Seulement, je… enfin, je ne vous imaginais pas vêtu de la sorte… ce n’est pas une critique, non, ça vous va bien… Il parut surpris, puis se mit à rire. – Je prends ça pour un compliment… je me mets là ? En une seconde, le visage de Jeen se modifia, et elle redevint la photographe professionnelle qu’il avait engagée trois jours auparavant. Elle fit signe que oui, positionna son appareil, fit une série de clichés, et comme ils l’avaient convenu, privilégia le portrait. La lumière tombait sur les cheveux bruns de l’homme, et auréolait son visage d’une teinte dorée. Dommage qu’il ne veuille que du noir et blanc, songea Jeen. Elle essaierait de le convaincre de garder quelques photographies en couleurs. Après la séance photo, ils allèrent prendre un ...