Les ombres de Jeen
Datte: 12/10/2018,
Catégories:
nonéro,
fantastiq,
... irruption dans la pièce. Il se retourna immédiatement, le visage lugubre. Puis changea d’expression, en proie à la plus vive stupéfaction. Elle s’était changée et portait à présent une tunique moulante rouge, de style vaguement chinois. Elle n’avait plus ses lunettes. Ses cheveux blonds rebelles bouclaient gracieusement autour de son visage. Elle était soudain d’une beauté à couper le souffle. – Les photos sont prêtes ? demanda-t-il abruptement, pour cacher son émoi. – Non, pas encore. Venez, je veux vous montrer quelque chose. Ah, à propos, je voulais vous préciser qu’ils ne m’ont pas relâchée,à l’asile, comme vous l’avez supposé tout à l’heure. Je me suis enfuie il y a sept ans. Il faillit s’étouffer et avaler de travers sa gorgée de sherry. Elle soutint posément son regard écarquillé. – Je sais ce que vous pensez, Sébastien, murmura-t-elle lentement. Mais vous avez tort. Je ne suis pas folle, et je voudrais que vous le pensiez également. Ayez confiance en moi. Au lieu d’avoir peur de moi. Suivez-moi. Malgré lui, comme poussé par un irrésistible besoin de sombrer plus profond dans la misère humaine, il accepta de suivre cette pauvre fille qu’il venait à considérer comme complètement démente. Elle le mena dans une sorte de cave, très lumineuse. Il y avait des dizaines et des dizaines de photos encadrées sur les murs, et éclairées par des spots halogènes. Du regard, elle l’autorisa à approfondir son inspection. Pendant qu’elle se dirigeait vers un genre de bar encastré dans ...
... le mur, et se servait un verre de whisky, le jeune homme regarda chaque photo. Elles représentaient toutes des lieux différents, et il devina qu’elles ne venaient pas toutes de France. Ce qu’il ne comprenait pas, c’était leur intérêt. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles n’étaient pas belles. Ce n’étaient pas des vues panoramiques, mais des endroits définis et morcelés en plusieurs clichés pris dans les détails. Il n’éprouvait aucun plaisir à les contempler. Et elles lui procuraient même une sorte de malaise, beaucoup plus sombre et envahissant que celui qu’il avait éprouvé dans le parc. Il se tourna vers Jeen. – Je n’aime pas ces photos, déclara-t-il d’une voix sinistre. – Moi non plus, renchérit-elle en vidant son verre. Il la regarda en silence. Elle se tenait immobile contre le chambranle de l’escalier, semblant plongée dans une profonde rêverie. – Alors… pourquoi les avez-vous prises ? demanda-t-il lentement. – Vous ne me croiriez pas si je vous le disais, dit-elle d’une voix presque désabusée. Je voudrais vous raconter une histoire, Sébastien. Asseyez-vous. Il y a une chaise derrière vous. Il hésita, puis obtempéra, sans cesser de la fixer. Ses yeux s’étaient voilés, comme si elle plongeait dans ses souvenirs. Et c’était probablement le cas. — J’ai aujourd’hui 24 ans, reprit-elle d’une voix un peu rauque. J’ai passé cinq ans dans un asile. Cinq longues années. Savez-vous ce qu’on ressent dans un tel endroit, monsieur ? Non, vous ne savez pas. Personne ne le sait. ...