1. L'ange et le démon...


    Datte: 09/02/2019, Catégories: fh, amour, volupté, init,

    ... n’ai même pas remarqué que Marie-Agnès derrière moi suspendait son souffle, ahurie qu’elle était de m’entendre chanter de soudaines louanges de son nouveau protégé. Je n’ai pas fait attention que se formait soudain autour de moi un cercle de plus en plus serré des amateurs éclairés de cet art nouveau qui s’étalait devant nos yeux. Et dans un état semi-conscient, à moitié comateux, je me suis lancé dans un délire verbal qui révolutionnait mes écrits, balayait les idées que je défendais jusqu’alors bec et ongles, contre vents et marées. Devant cette assistance béate, je me suis mis à pérorer et encenser l’œuvre qui était exposée devant moi. Il a fallu quelques longues minutes et toute la force de Marie-Agnès pour qu’elle m’empoigne le bras, distribue de grands sourires à droite et à gauche et me traîne vers la sortie, tout en m’excusant en prétextant un état général de fatigue. Un peu plus tard, encore hagard, je me suis retrouvé attablé en face de Marie-Agnès qui avait à ses côtés, le peintre blondinet. Au-dessus de la table, Marie-Agnès me tenait la main avec compassion et tendresse. Sa chaleur me réconfortait. Son sourire, un peu pâlot m’apaisait. Pourtant, dans le même moment, je sentais qu’il se passait quelque chose qui était en train de m’échapper. Mais quoi ? Le blondinet lui aussi me souriait, comme on sourit à un malade qu’on visite. Tous deux semblaient attendre que je sorte de mon monde. Sur leurs lèvres, dans leurs yeux il me semblait que mille questions se ...
    ... bousculaient, mais aucun son ne sortait de leurs lèvres closes, figées dans ce rictus un peu apprêté et de circonstance. Bêtement, je continuais à les fixer, cherchant à rassembler ce moment d’absence que je venais de subir et dont je n’avais aucune idée de son temps ni de ses conséquences. Devant mon mutisme et mon inertie, Marie-Agnès avait pris la soirée en main. C’est elle qui congédia le blondinet, elle commanda un taxi et me força à m’allonger, alors qu’elle savait que je devais écrire un « papier » pour remettre au plus vite à mon journal. Mais elle sut se montrer ferme et résolue. Ce soir-là, nous n’avons pas fait de galipettes, rituel que nous avions instauré lors de nos rentrées tardives. La tête nichée au creux de son cou, je me suis endormi « sagement » dans les bras de Morphée. Le lendemain, la tête encore embrumée, j’ai compris ma situation. La veille au soir, j’avais par excès d’amour démoniaque, détruit ma réputation de pourfendeur de l’art contemporain ; celui dont tout le monde attendait la sortie de ses derniers commentaires assassins qui faisaient monter ou descendre les cotes des artistes en herbe. Depuis, j’ai abandonné mon travail de critique et – même si j’ai encore un peu de mal à les promouvoir – je travaille avec Marie-Agnès et l’aide dans la vente des nouveaux chefs d’œuvres que nous dégotons au cours de nos soirées mondaines et dont chaque nouvelle acquisition ou chaque nouvelle vente donne lieu, dans notre lit, à une célébration corporelle qui, seule, ...