1. Le dernier des Grizziera


    Datte: 10/02/2019,

    ... collait bien à l’époque, et il voyageait à nouveau vers les rivages brumeux de son enfance. Il imaginait plus qu’il ne se souvenait. N’avait pas connu ce genre de groupe à ce moment-là. Mais ceux qui avaient été en âge de comprendre, qu’avaient-ils ressenti ? Il ne le saurait pas, ne pouvait se contenter que d’imaginer. Encore et encore, en rêvant qu’il était cet enfant d’alors au regard perdu et à la mèche frondeuse. Ça devait bien être lui ce souvenir. Certaines fois, tout se mélangeait avec une telle force qu’il lui semblait perdre son identité même. Il avait besoin d’alcool. Appuya sur son talkie-walkie. La voix fatiguée de Victor grésilla dans l’appareil. — Amène-moi un Margaux.— Il est deux heures du matin; Monsieur. Vous êtes certain ?— Oui, je suis certain.— Dois-je carafer ?— C’est une année puissante ?— J’ai un 88.— Et ?— Eh bien, oui, 88 est une année puissante, avec des tanins très présents.— Tu dis ça comme si c’était une évidence. Et si j’avais dû manger, avec quoi me l’aurais-tu conseillé ?— Manger ? Maintenant ?— Non, j’ai dit : si j’avais dû.— Eh bien, il me semble qu’une épaule d’agneau ou une autre viande relevée en goût ferait parfaitement l’affaire.— Il faudra y penser.— Oui, mais vous n’avez pas répondu à ma question.— Laquelle ?— Dois-je carafer ?— Oui, mais devant moi. Et cesse de soupirer. Il se rappelait bien l’enseigne du loueur de voitures et leurs visages à tous deux, tendus et anxieux, lorsqu’il avait présenté sa carteAmerican Express pour ...
    ... la caution. Il venait d’avoir vingt et un ans. Déjà, son compte était bien pourvu. Sans même travailler. Parents et grands-parents l’alimentaient avec une régularité et un acharnement qui ne s’était jamais démentis. Et ce n’était que son compte courant. Les épargnes étaient nombreuses, et il était seul héritier direct. Alors, louer un coupé sport ne lui posait pas de problème particulier, quand bien même la responsable de l’agence avait jeté sur lui un regard désapprobateur, lui suggérant, et peut-être était-ce mieux, de s’orienter sur une catégorie moins puissante, plus adaptée à son jeune âge. Il n’avait pas répondu, se contentant d’avancer sur le comptoir sa carteGold, tout en regardant Léane dont le regard brillait soudain, comme si elle comprenait que vraiment ils étaient partis pour une virée, une virée comme jamais ni lui, ni elle n’en avaient vécue. Gabriel savoura lentement le Margaux. Fort, effectivement ; puissant en bouche comme aurait dit Victor. Mais pour ce qu’il en avait à foutre… Au demeurant, il aurait bien pu se saouler avec du vin de table bon marché que ça n’aurait finalement pas changé grand-chose. Mais, de fait, il avait été élevé ainsi, et l’argent lui avait inculqué l’art de boire et de manger ce qui se faisait de mieux. L’art également de porter des vêtements sur mesure, griffés, et parfaitement coupés. Il n’y avait certainement que dans ce milieu que l’on se rendait deux fois par semaine chez le coiffeur. On avait toujours veillé pour lui sur son ...
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