1. La forêt


    Datte: 04/06/2019,

    ... deux autres s’affalent bruyamment, laissent tomber sacs et armes, commencent à chercher ici et là quelque chose à manger, quelque chose à voler, semant le chaos dans la maison. Mes yeux ne quittent pas le tableau. Curieuse œuvre qui piège l’attention et envoûte l’esprit, dessinant un mot et un seul dans les pensées ; je le sens prendre corps : Pourquoi ? Éloigne-toi. Je me signe du cercle devant la toile sombre, récite intérieurement le psaume de purification et me détourne d’un coup, m’arrachant à son attrait morbide. Demeure de sorcier. À mon tour je m’allonge sur le banc, déchausse mes bottes, ôte mon plastron de cuir qui m’enserre tout le haut du corps. En dessous il n’y a plus que ma chemise de lin maculée de part et d’autre, je l’enlève en frissonnant. — Sale entaille, dit le grand en me regardant. La plaie n’est pas sèche et suinte encore en son centre, elle est profonde, bien profonde, à un cheveu du cœur. La vie tient à peu de chose. Dans la pièce à côté, j’entends l’étranger fouiller, mettre des choses à terre, chaos rythmé par son étrange souffle. — C’est l’un des leurs.— Je sais, répond le grand, et alors ?— Alors ? Je n’ai pas confiance en ces chiens, je les combats depuis trop longtemps. Je pense qu’il est bien tard pour que j’en devienne l’ami.— Donc ?— Donc, pas question de m’allier à qui que ce soit d’autre que l’un des nôtres.— Si je ne m’abuse, cette guerre que nous menons depuis si longtemps, nous sommes en train de la quitter, nos ennemis maintenant, ce ...
    ... sont les nôtres.— Tu ne le connais pas, il peut te poignarder dès que tu auras le dos tourné, tu n’ignores pas leurs méthodes ?— Pareilles aux nôtres, ricane-t-il. Et puis tu ne me connais pas non plus, qui te dit que tu peux avoir confiance en moi et à l’inverse, qui est garant de toi ?— Je suis l’un des tiens. Je tends la main, révélant mon poignet : cercle de croix, la brûlure sur la peau. Il ricane et crache à nouveau par terre sans répondre. Je me lève en grimaçant et m’approche du feu : les flammes dansent, vivaces. Le foyer est récent, qui donc l’a allumé ? Il va bien finir par arriver celui qui vit ici. Il y a une cruche d’eau sur la table, une cruche et quelques gobelets de bois, j’ai soif. Le miroir me renvoie d’un coup mon reflet sale, livide ; à la lueur des bougies, j’ai l’air d’un cadavre. Il me faut du linge propre, de quoi laver et bander ma blessure, il me reste quelques herbes de Talm, ça devrait faire l’affaire en attendant mieux. L’étranger est monté au grenier, j’ai vu sa silhouette lourde se faufiler à l’étage. Là-haut, je l’entends continuer sa fouille méthodique. Je regarde le grand, un vague sourire, malgré moi, en coin : — Une bande de voleurs et de racailles, rien d’autre, ça ne changera pas. Ses yeux mi-clos semblent me répondre : « Tu m’ennuies », mais sa bouche reste muette. Du linge, trouver du linge. Trois portes : celle qui mène au corridor, celle où l’étranger est allé avant de monter au grenier puis revenir s’avachir sur les escaliers, enfin, ...
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