1. La forêt


    Datte: 04/06/2019,

    ... une dernière au fond de la pièce. Je m’en approche, tire le loquet, les gonds gémissent, j’entre. Il fait froid, tout est noir. Je pénètre à tâtons dans la pièce sombre, l’écho de mes pas m’indique qu’elle est profonde. Une odeur de bêtes, un calme total. Je ressors et me saisis d’une lanterne près de la cheminée, l’allume à l’aide d’un bout de bois de l’âtre et reviens dans la pièce. Mon souffle forme un petit nuage blanc qui se détache dans la maigre lumière. Il y a de la paille sur le sol. Une grande étable vide. Des chaînes sont fixées sur les murs, une bonne cinquantaine, sûrement plus. Je continue d’avancer, pieds nus sur le sol. Un bruit de chaînes, là derrière moi. Je me retourne, avance vers le fond de la pièce. Un souffle chaud sur ma nuque. À nouveau, je me retourne mais il n’y a rien. Près du mur, à hauteur d’homme, je saisis une chaîne, lourde, froide. Une de celles qui enserrent le cou des bêtes sauf qu’elle est de petite taille. Machinalement, je la passe autour du mien sans fermer, elle me va parfaitement. Je frissonne. Un courant d’air glacé glisse sur mon torse nu. Pars. Je me débarrasse à la hâte de la chaîne. Attends, qu’est-ce que c’est ? Je monte la lanterne au-dessus de ma tête, accroche quelque chose dans le fond de la pièce, un éclat qui m’avait échappé. La lueur de la flamme vacille, s’étouffe presque puis reprend son tremblement dévoilant un tas de chaînes posées à même le sol, encore une cinquantaine peut-être. Quelles sont les bêtes que l’on ...
    ... entrave ici, dans cette forêt au milieu de nulle part ? On n’attache pas ainsi des animaux aux si petits cous. Et puis ces chaînes, il me semble bien en reconnaître la forme. D’ailleurs à mesure que l’une d’entre elles cogne légèrement contre le mur après que je l’ai lâchée, son sinistre écho me revient en mémoire : les geôles, les geôles des diseurs ; les cris qui n’en finissent pas. Nouveau souffle glacial. Je sors à reculons, lentement, la lanterne à la main. Les hommes dorment. Le grand, allongé sur un banc, a replié ses genoux sur son ventre, son visage est grimaçant, je l’entends qui gémit. Ces gémissements, je les ai entendus, subis plus que la raison ne peut supporter. La nuit, lors des campagnes d’avancée, les plus longues et les plus difficiles, j’ai écouté les hommes sangloter, prier l’Unique, appeler le nom d’une femme, d’une mère, de je ne sais qui. Tous ressemblaient à des enfants chétifs et menacés comme celui qui dort là sous mes yeux. L’incertitude et la peur, les voilà les garces qui font revenir le chérubin. Ils sont rares les hommes qui n’ont pas pleuré durant cette longue guerre et ceux-là ne servent pas leur Dieu mais bel et bien leurs sourds desseins ; des démons, j’en ai croisé certains. Il y a quelques bûches sur le sol, dans le feu paisible rougeoient les braises. Je devrais m’endormir, ce serait plus sage que de laisser mon esprit fatigué livré à lui-même. L’autre, l’ennemi, s’est assoupi sur les marches de l’escalier principal qui mène à l’étage. ...
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