1. La forêt


    Datte: 04/06/2019,

    ... Avachi, replet, la face écrasée contre les barreaux de bois, il dort d’un sommeil profond, en proie à des songes que je n’aimerais pas partager. Sur son front dégagé, il y a la marque d’Elvin, le losange et les cinq points, que de similitudes dans les rites de nos cultes. Quelques heures auparavant je l’aurais trucidé… La vie est étrange. Mais ce n’est plus utile maintenant, nous ne sommes plus que des fuyards. Et les fuyards ne se battent pas entre eux. Sur le banc libre, je m’assois. M’assoupir, m’assoupir à mon tour, oublier le bruit des chaînes et les étranges idées qui assaillent mon esprit. J’y ai droit moi aussi à ce repos. Mes yeux se ferment. Je sais que le songe va m’échapper, que son sens est une énigme, qu’il est rare de le comprendre. Les érudits de l’Ordre écrivent – dans leur lecture du livre sacré – que l’Unique, lors de ces moments d’abandon, nous parle et nous donne des clés, qu’il faut donc écouter son sommeil. Se souvenir déjà, voilà une tâche bien ardue. Ce ne sont d’abord que deux points lumineux, juste deux traces dans l’obscurité. Les points se font plus nets : deux globes blancs, deux globes blancs sur un visage. Une vieille femme me fixe. De la buée sort de sa bouche, pincée, triste. Ses traits sont fripés jusqu’à l’os, les rides creusent de profonds sillons sur sa peau sèche. Des cheveux blancs, longs et fins, tombent sur ses frêles épaules exhalant une féminité oubliée. Ce visage, c’est la jeunesse morte. Elle sourit. Ses dents sont régulières, ...
    ... pour autant que je puisse les distinguer derrière la petite buée en suspens, et puis, il y a toujours ces yeux comme révulsés qui me scrutent, cherchent au fond de moi, cherchent quoi ? Je la vois mieux maintenant. Son corps entier me fait face, elle est nue. Pupilles blanches, peau laiteuse. C’est une nudité crue, vilaine comme un petit jour et la lumière qui perle est celle du soleil derrière les nuages. Tout son petit corps chétif semble pris de multiples parcelles de vie. Ici c’est son ventre crénelé qui remue légèrement, là, c’est son sein maigre et tombant qui tressaille, là encore, c’est son épaule qui semble prise d’un soubresaut. Mon regard se pose sur son intimité, je voudrais ne pas voir mais mes sens commandent à mes yeux, empêchent mes mains de monter à eux. Je contemple ce qu’il reste d’une femme au crépuscule de sa vie. Voilà le corps qui change. Je cligne des yeux. Il se raffermit, des veines palpitent, témoins silencieux d’un regain de vie. Les marques, les stigmates du temps s’effacent et elle rajeunit, là, devant moi. Son corps devient celui d’une belle jeune femme, désirable. Comme je le ressens. Le manque m’embrase le ventre d’un coup. La buée se dissipe révélant un visage harmonieux, régulier, cerné de cheveux blonds comme des fils d’or qu’on aurait tissé inlassablement. Je vois des formes simples, attirantes. Elle s’avance et sa main touche la mienne puis ce sont ses lèvres qui s’approchent des miennes, elle me respire. Je ferme les yeux. Effleure-la, ...
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