1. La forêt


    Datte: 04/06/2019,

    ... goûte sa bouche. Elle me rend mon étreinte, plus fortement encore. J’ai du mal à bouger, comme entravé. Le contact n’a pas la promesse de ses courbes – mais je n’ai là aucune expérience significative sur laquelle m’appuyer, peut-être est-ce toujours ainsi – la peau est sèche, l’odeur fétide. J’ouvre les yeux. Deux globes blancs, vitreux, me fixent. Sa bouche de mourante est collée à la mienne. Je tente de hurler mais son baiser m’étouffe et ses bras maigres m’enlacent dans une révoltante lascivité. Débats-toi. Mon cri silencieux se perd sous mon crâne. Elle recule quelque peu, ôte ses lèvres des miennes puis prend mon visage entre ses mains. Lorsqu’elle parle, une buée plus prononcée s’échappe de sa bouche. — Descends le fleuve, descends-le, dit-elle d’une voix dure. La voilà qui baisse la tête, je ne vois bientôt plus que la masse informe de ses cheveux. — Le troupeau vient. Un cri s’est étouffé dans ma gorge. J’ai toussé ; une quinte lourde qui a réveillé le grand. Maintenant il me regarde, l’air absent, sorti lui aussi du monde des ombres. La lueur des chandelles vacille comme pour ajouter à notre confusion. — J’ai fait un mauvais rêve, dit-il en se redressant sur ses immenses jambes. Il s’approche de la table, constatant avec dépit qu’il n’y a plus d’eau dans la cruche. Je me lève à mon tour, le feu brûle toujours dans l’âtre. Je m’y réchauffe les mains. — Moi aussi j’ai fait un étrange rêve.— Étrange ne veut pas dire mauvais.— Il l’était. Les flammes dansent sous mes ...
    ... yeux. Le silence à nouveau s’installe entre nous, seulement troublé par la respiration lourde de l’ennemi, avachi sur les marches. Je refrène l’envie de confier ce qu’il m’a semblé voir dans la grange mais je m’abstiens, à quoi bon ? — Quel est ton nom ? demande-t-il en s’approchant du tableau noir posé sur le chevalet face à la lucarne.— Lorn.— Moi c’est Fazel, j’étais de la troupe d’Izach et toi ?— J’étais avec le prélat Soltz.— Les purs et durs.— C’est ça oui, les purs et durs. Il continue d’observer la toile noire, ses yeux scrutant l’obscurité des teintes puisqu’il semble en discerner plusieurs maintenant. Il cherche la clé, hasarde un doigt, caresse les reliefs pâteux, suit les indicibles nuances. — C’est curieux cette peinture. Il crache par terre puis reprend : — C’est noir et en même temps, quand on y regarde de plus près, fixement, on y découvre autre chose. Regarde là : on dirait la lueur d’une torche au loin. Et puis il y a ces ombres derrière la lueur, plus noires que le noir. Tout ça ne me dit rien qui vaille, continue-t-il sans vraiment s’intéresser à moi, cette maison, par Lazarre, elle transpire le mal et si la troupe était là, elle la brûlerait entièrement. Sourire édenté, il regarde par la fenêtre, en proie – je le devine – à de nombreux souvenirs. Il a raison, cet endroit inspire la crainte. Pourquoi est-elle désertée au beau milieu de la nuit ? Pourquoi un paysan peindrait-il une toile noire ? Et puis les chaînes dans la grange, le rêve de la vieille femme : ...
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