Le remontreur de mémoire
Datte: 28/06/2019,
Catégories:
collection,
cérébral,
revede,
Voyeur / Exhib / Nudisme
nonéro,
Martial marche dans la rue, traverse Paris, il est toujours tête basse. C’est pas qu’il a honte de quoi que ce soit. C’est pas qu’il soit timide. Non. Martial n’a pas peur non plus de mettre involontairement son pied sur une souillure de chien. En réalité, Martial scrute, à longueur de promenades, les trottoirs de Paris (et d’ailleurs) pour chercher l’objet de ses convoitises… les photographies jetées, abandonnées, perdues, abîmées, laissées pour compte. Entières ou déchirées, seules ou en paquet, photographies d’identité, de mariage, souvenirs de jours heureux, photos ratées, de vacances, d’aventures, photographies en noir et blanc ou en couleurs… Toutes. Il les ramasse toutes, les défroisse méthodiquement quand elles sont roulées en boules de colère, en collecte les petits morceaux quand, dans un geste de dépit, leur propriétaire les a réduites en mille morceaux. Lui, Martial, prend alors la peine et le temps de s’accroupir et, délicatement, comme on ramasse les larmes de la vie, d’en rassembler soigneusement tous les morceaux, pour les reconstituer plus tard. C’est un drôle de bonhomme, Martial. La cinquantaine bien sonnée, l’allure étriquée et dégingandée, le cheveu gris et long retenu en queue de cheval, avec quelques mèches brunes et d’autres qui tirent sur le jaune pisseux. Le regard bleu délavé sans cesse à l’affût, le nez busqué, le visage ascétique, le menton pointu et la lèvre fine. Il fait presque peur, Martial. Souvent, en le croisant, les passants font un pas ...
... de côté, et les enfants le suivent du regard en ouvrant des yeux curieux et effrayés. C’est qu’il se donne l’allure d’un clodo, Martial. Été comme hiver, il porte une gabardine crasseuse, aux vastes poches, qui tombe à mi-mollets sur un jean effrangé cachant des chaussures éculées à force d’avaler les kilomètres de bitume. Puis, le soir tombé, Martial rejoint son antre. Il en pousse la porte et va directement dans son studio, zone à peine éclairée par quelques lampes placées au petit bonheur la chance. Elles jettent un halo jaunâtre et glauque sur l’univers secret de Martial. Délicatement, il extrait de ses poches la récolte du jour qu’il étale devant lui. Il la contemple avec satisfaction et s’accorde une longue pause méditative. Une fesse à moitié calée sur un tabouret haut et bancal, une éternelle cigarette roulée aux lèvres, Martial imagine la vie derrière la fine pellicule de papier glacé… De ses longs doigts noueux, pas très nets, jaunis par le tabac, aux ongles ébréchés et noirs, Martial s’empare d’une des photographies, instantané d’un moment de vie figé à tout jamais sur le papier. D’abord, il la retourne pour vérifier s’il n’y a pas une quelconque indication… un nom, une date, un lieu… un mot… Martial a déjà vu tant et tant de choses écrites au dos… des mots tendres, des injures, des mots et des maux d’amour. Des lieux aussi… inattendus, étonnants… Tiens… cela lui revient en mémoire… C’était rue de Rome, en plein Paris, il avait ramassé une photographie en couleur ...