Le remontreur de mémoire
Datte: 28/06/2019,
Catégories:
collection,
cérébral,
revede,
Voyeur / Exhib / Nudisme
nonéro,
... de son autosatisfaction à se faire imprimer des cartes de visite à la machine automatique de la gare Saint-Lazare où, sous son nom écrit en anglaise, il avait ajouté « remontreur de mémoire ». C’était pompeux, mais tellement exact dans l’esprit de Martial. Et depuis, quand les gens – par extraordinaire – l’interrompaient dans ses gestes de collecteur d’images abandonnées sur un trottoir, alors qu’il était encore plié en deux pour ramasser un cliché entier ou ses morceaux, quand il sentait peser sur lui un regard interrogateur, sans précipitation et en prenant son temps, il se relevait, se dépliait puis tendait bravement sa carte de visite, qu’il tirait d’un vieux portefeuille de cuir avachi, moulé à la forme pointue de sa fesse. Le passant, curieux, jetait souvent un œil suspicieux sur le petit rectangle blanc que la main noire de Martial lui tendait. Et Martial attendait l’effet escompté. Car, chaque fois, c’était bien la même chose qui se passait. Le curieux regardait la carte et levait le regard vers Martial qui attendait là, imperturbable, debout devant lui, un sourire au coin de ses lèvres minces. Alors, le badaud replongeait ses yeux vers le bristol, éloignait un petit peu la tête pour être certain d’avoir bien lu, et Martial connaissait d’avance la question qui allait suivre, toujours la même : — C’est quoi « remontreur de mémoire » ? Alors, Martial prenait son temps, car il dégustait ce moment… Pour lui c’était même une intense jouissance que d’expliciter les raisons ...
... de sa passion à un inconnu dont il avait peut-être déjà remontré la mémoire. L’explication donnée, Martial pouvait reprendre son cheminement, satisfait. De temps à autre, il tournait son regard, vers l’endroit où il avait rencontré son interlocuteur. Ce dernier, quelquefois ébranlé dans ses certitudes par le discours semi-philosophique de cet escogriffe, restait planté là, regardant à ses pieds juste pour voir si, par hasard, il ne voyait pas quelque part une photo à sauver. D’autres fois, c’était le flâneur qui le suivait des yeux, comme s’il venait de croiser un phénomène hallucinatoire. Parfois encore, il reprenait son chemin comme si de rien n’était, mais se retournait pour lorgner en direction de Martial qui savait qu’il venait, une fois de plus, de faire mouche en semant le trouble dans l’âme d’autrui. Et Martial aimait aussi ces moments au point qu’il se les remémorait le soir venu, quand il vidait ses poches de la récolte du jour. Quand il y avait récolte ! Car ce n’était pas non plus tous les soirs que Martial pouvait faire étalage de nouveautés sur son bureau encombré. Et, bien souvent, il devait se contenter de feuilleter les trouvailles déjà enserrées entre les lourdes couvertures de ses classeurs. Alors, ces soirs-là, Martial choisissait une photographie, morceau de mémoire d’un inconnu, et laissait son esprit divaguer… Alors, il jouait pleinement son rôle de remontreur de mémoires, accaparant celles de ces inconnus pour les faire siennes. Bien sûr, certaines de ...