1. Le remontreur de mémoire


    Datte: 28/06/2019, Catégories: collection, cérébral, revede, Voyeur / Exhib / Nudisme nonéro,

    ... durant ce travail, à les présenter les unes aux autres. Morceaux de têtes, de corps, photos floues, photos déchirées, certaines représentent des jeunes gens, d’autres des vieillards. Certaines, peut-être plus que d’autres, excitent son penchant à ce voyeurisme naturel de la vie des autres… ce sont les photos de mariage. Ah, les photos de mariage ! Martial en a récolté quelques dizaines, réparties à travers les pages de sa curieuse collection. Couples heureux affichant à la noce et au monde entier leur insolent bonheur, mais dont il a trop souvent ramassé les photos, flétries, roulées en boule, nerveusement pressées ou mouillées des larmes de lendemains qui déchantent. Il les trouve émouvants, ces mariés sur papier glacé qui se regardent pour l’éternité dans le blanc des yeux, se promettant la lune pour se retrouver plus tard charriés par l’eau d’un caniveau ou coincés dans une grille d’aération de métro. Elle lui sourit. Il lui entoure l’épaule de son bras protecteur, vainqueur et triomphateur. Elle, la robe de dentelle, le voile sage, l’anglaise parfaite descendant sur l’épaule jusqu’à la naissance de la gorge ronde et chastement découverte, baisse légèrement les yeux devant le maître, ou lève vers lui un regard admiratif et rempli d’une ferveur à la limite de la dévotion. Lui, le gilet gris perle, brodé et ouvragé comme un fauteuil Louis XV, la jaquette ouverte, la main accrochée sur l’épaule en signe d’appartenance, montre fièrement, au premier plan, une bague qui sent ...
    ... bon l’or neuf. Ils affichent leur bonheur, respirent la sérénité. Couple ordinaire pour un avenir extraordinaire, couple extraordinaire pour une vie ordinaire… Martial aime contempler ces instantanés du bonheur, lui qui n’a jamais pris femme et vit en célibataire endurci, car il est conscient qu’aucune femme ne supporterait sa crasse, ni son désordre ni sa passion qui envahit toute sa vie. D’ailleurs qui pourrait-elle être, cette femme, pour pouvoir supporter ses rêveries, ses élucubrations, son penchant pour ce voyeurisme des rebuts de l’homme, cette cueillette indécente de photographies abandonnées sur le pavé des rues ? Pourrait-elle être cette inconnue au visage à moitié déchiré laissant voir une mèche brune qui lui cache la joue et laisse l’autre dans les oubliettes d’une poubelle ? À moins que ce ne soit cette autre, affichant un sourire mièvre, qui s’amuse à loucher, tirant une langue pointue, grimace éternisée et figée par un photomaton canaille ? Non, c’est peut-être celle-ci ! Rouquine aux boucles lâches qui auréolent un visage sérieux et anguleux ; elle montre deux dents écartées, étalant ainsi à la face du monde, et pour la postérité, son « sourire du bonheur » au-dessus d’une profonde fossette dans le menton. Et pourquoi pas celle-là ? Binoclarde aux verres épais, au duvet brun qui couvre le côté du visage et ne cache même pas un acné juvénile prolongé. Et du choix, il en a, Martial ! Il a même l’embarras du choix. Mais, s’il détient les visages de ces inconnues ...
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