Le papyrus d'Anubis
Datte: 06/07/2019,
Catégories:
fh,
hotel,
C’est son visage à elle qui a attiré mon attention. Le casque de cheveux noirs serti d’un bandeau. L’eau pure de ses yeux magnifiés par le khôl, l’arc noir des sourcils si parfait, la moue des lèvres, le menton arrondi posé sur un cou un peu lourd. Un visage mature et épanoui sans être bouffi. Et, bien sûr, les pointes de ses seins qui perçaient le lin blanc des pans de la toge entrecroisés en un décolleté savant. Oui, c’est elle qui a attiré mon attention, je me suis retourné sur elle, fasciné par sa beauté irréelle. Je me suis planté devant elle, elle ne faisait pas semblant de me fixer, non ! Elle me fixait réellement. J’aurais voulu m’avouer que je la connaissais depuis toujours, vivre un « flash-back » une expérience de désincarnation, de voyage temporel : voir sa litière dorée soulever la poussière rouge sur la route de Memphis, dans l’écrin vert des palmiers dattiers et des carrés de champs tirés au cordeau. Mais le fleuve de touristes qui coulait dans mon dos, me frottant, me bousculant, la rumeur sourde et lourde de ces milliers de voix qui roulaient sous les arcs du plafond du musée du Caire ne m’en laissèrent pas le loisir. Un groupe de femmes du troisième âge avait libéré l’espace disponible, et à présent je pouvais mieux le voir lui aussi, les mêmes yeux profonds et limpides que sa femme, les cheveux comme on les porte aujourd’hui à Paris, le teint bistre et cette ridicule moustache de danseur mondain. C’est parce que je l’ai jalousé que je lui ai trouvé l’air ...
... emprunté et rigide, le bras stupidement replié sur le ventre. Même en sa présence je ne pouvais m’empêcher de trouver à sa femme une beauté que l’âge n’avait pas altérée. Sur la plaquette était écrit : Rahotep et Nofret, Ancien Empire, début de la IVème dynastie (v.2575 av J .C.), calcaire peint. Ces deux-là étaient si extraordinairement vivants, par-delà les âges et l’oubli, que je ne pouvais me détacher d’eux. Assis sur leurs trônes de calcaire ils posaient, comme posaient nos anciens devant les caméras à long soufflet noir, avec dans les yeux ce même air surpris et dubitatif. Je les fixais, ils me fixaient et je restais là, hypnotisé comme la proie par le cobra. Et c’est alors que l’extraordinaire se produisit, j’eus l’impression de perdre le contrôle de mon corps, une force que je ne pouvais maîtriser me poussait vers le bas-relief, déjà mes mains caressaient le visage de Nofret, se dirigeant sans hésitation ; mes deux pouces se positionnèrent devant les yeux de pierre précieuses et d’un même mouvement les poussèrent au fond des orbites de calcaire. J’entendis un léger déclic métallique puis la tête de Rahotep pivota silencieusement, découvrant une cavité cachée dans le gras de son cou. Toujours sous influence j’aperçus, roulé dans la cache, un petit étui de cuir que je dissimulais aussitôt sous mon tee-shirt. Après que j’eus extrait le tube, la tête de Rahotep regagna tout aussi silencieusement sa place habituelle. Toute cette affaire avait duré tout au plus quelques ...