Les larmes d'Antigone
Datte: 24/07/2019,
Catégories:
copains,
nonéro,
portrait,
Collègues / Travail
... leurs curriculum vitae, rangés avec ceux des autres étudiants, dans secrétariat du labo. En ouvrant celui d’Anne-Sophie, je crus d’abord que je m’étais trompé et qu’il s’agissait de la liste des enseignements dispensés à l’université ! Mais non, c’était bien son CV : Mlle Anne-Sophie M…, diplômée de mathématiques générales, diplômée de mathématiques appliquées aux sciences de la vie, diplômée de physique fondamentale, diplômée de physique quantique, diplômée de statistiques, diplômée d’à peu près tout ce qui peut s’apprendre en biologie et en génétique… Elle avait accumulé à elle seule autant de titres que la moitié d’un amphithéâtre, et toujours avec les félicitations du jury. Je ne parle même pas de l’âge auquel elle avait obtenu son bac, mention très bien cela va de soi, et des autres concours, challenges et défis divers et variés auxquels ce genre d’oiseau rare surdoué adore se mesurer. C’était à vous donner le tournis. Certaines années, elle avait validé avec brio trois enseignements en parallèle alors que la majorité d’entre nous mettions deux ans pour en réussir un seul ! À côté du sien, mon quotient intellectuel devait à peine atteindre celui d’une huître cuite. Et en prime, elle trouvait le temps de jouer au tennis et d’être sacrement bien classée. C’était qui cette fille : une extra-terrestre ? Les choses se présentaient de plus en plus mal. À moitié déprimé, je m’attaquai au curriculum vitae d’Élodie. Là, pas de surprise, rien que du classique, du besogneux, du ...
... Mademoiselle Tout-Le-Monde. Et c’est justement ce qui m’intrigua. Ce cursus si banal ne collait pas à sa personnalité hors du commun. Je ne pouvais pas croire que sa vie se résumait à des manipulations de bactéries génétiquement modifiées, coincée entre revues scientifiques et congrès. Il manquait forcément quelque chose. Pourquoi ne disait-elle rien de ses activités extra universitaires ? Tout le monde se prétend grand sportif, même avec un flocon de ski pour unique trophée, ou passionné de lecture, surtout si cela se résume au journal télé dans les toilettes ! Que cachait-elle ? Il y avait forcément quelque chose à découvrir ! Et je trouvai. Facilement. De site en site, de fil en aiguille, en une nuit, sur internet, je reconstituai l’incroyable vie d’Élodie. Le théâtre d’abord. Et pas des sketches pour fête paroissiale de fin d’année ! Pirandello, Brecht, Shakespeare, Tchekhov… tout cela avec des troupes prestigieuses, des premiers rôles récompensés par des prix d’interprétation, des critiques élogieuses. Moi qui l’aurais plutôt imaginée dans Emmanuelle ou Histoire d’O ! Mais que diable allait-elle faire dans ce labo ? La musique ensuite. Vous diriez quoi ? Batterie, guitare électrique, boule à facettes et dancefloor ? Perdu. Violon, avec premier prix de conservatoire, récompenses à n’en plus finir et concerts à l’étranger. Mais la grande affaire du moment semblait être le dessin. Vernissages par-ci, expos par-là, et quand Mademoiselle n’exposait pas, elle avait son adresse ...