Une vie moderne
Datte: 18/09/2017,
Catégories:
cérébral,
Masturbation
fgode,
portrait,
— Et alors ? lui demanda Christiane.— J’ai réussi, je pense… le premier problème… mais pour le second je ne sais pas. C’était trop long… Muriel était petite, très brune, relativement fine, un fin duvet -qu’elle décolorait régulièrement et consciencieusement- ornait sa lèvre supérieure. Elle n’était ni jolie ni laide. Elle ne se distinguait en rien des autres individus qui peuplent les immenses mégapoles dans lesquelles la promiscuité forcée tient lieu de vertu civique. Elle faisait partie, en tout et pour tout, de ces gens communs, moyens, de ces gens pour qui la vie est une sorte de fardeau fatal, un peu crasseux, qu’il faut inévitablement porter et subir. En l’écoutant parler, en la regardant vivre, on était porté à croire qu’elle était lasse et désabusée de tout. Mais ce n’était pas exactement le cas. Comme la plupart de ses contemporains, elle pensait qu’elle se devait d’être en représentation permanente, dans le grand spectacle insipide que constitue la vie dans la cité. Elle avait trouvé un « truc d’acteur » – truc qu’elle voulait stylisé - dont elle avait fait, au fil du temps, l’expression de son identité, de sa marque originale : elle utilisait, pour parler, une voix légèrement chevrotante mais légère – un miaulement - et faisait traîner certaines des syllabes plus que de raison, tout en adoptant un accent pointu pour ponctuer une sélection, toujours changeante, de mots. De l’art… L’ensemble de l’effet donnait à son discours - et cela, quel qu’en fût le sujet - une ...
... tournure de dédain et d’arrogance qui exaspérait très souvent l’auditeur mais qui permettait à l’auteur de se forger une image distanciée et cynique par rapport au sujet qu’il daignait aborder. Christiane y était habituée et ne le remarquait plus. Bien sûr que Muriel avait réussi ! Non pas qu’elle fût brillante ! Mais elle avait toujours fait partie de ces élèves laborieuses qui offrent à leurs parents tant de félicité, et qui, de fait, arrachent ce que d’autres obtiennent. Elle était désormais diplômée et elle en tirait une fatuité corrosive qu’accentuait son tic langagier : c’est à cette époque qu’elle adopta pour l’éternité « sa » moue caractéristique –dont elle était fière - qui consistait à laisser tomber la commissure de ses lèvres à la fin de chacune ses phrases et à froncer ses larges sourcils en guise de conclusion définitive. De l’art encore… Une grimace… en guise de mépris pour sa vie. Cela faisait déjà trois ans que Muriel travaillait dans l’entreprise. Son travail n’était pas vraiment exaltant mais il n’était pas non plus déplaisant. Elle avait sous ses ordres une dizaine de personnes et recevait des ordres d’un responsable qui dirigeait une vingtaine d’équipes comme la sienne. Coincée comme elle l’était entre ces deux contraintes - soumettre et se soumettre - elle avait opté pour une attitude froide et distante : jamais, elle n’engageait la moindre familiarité avec ses collègues, ses tenues vestimentaires étaient strictes et classiques, à la limite du mauvais ...