1. Une vie moderne


    Datte: 18/09/2017, Catégories: cérébral, Masturbation fgode, portrait,

    ... ou se lassait, son esprit ne s’accrochant plus à aucun Gérard… ni humain, ni cylindrique. — … Et je suis heureux de remercier chaleureusement Muriel, notre plus ancienne responsable de la direction des équipes, qui depuis de longues années travaille dans notre entreprise. Son départ… Pour ses 60 ans et son départ à la retraite Muriel eut droit à un joli vase en cristal ainsi qu’à une magnifique assiette en porcelaine à accrocher sur le mur de son salon, son salon de vieille fille, toujours très bien rangé. Elle, qui avait passé 35 ans de sa vie à se construire dans et par le travail – son unique souci, en fait - se retrouvait maintenant sans aucune perspective séduisante. Elle avait l’œil humide au moment de son départ. Pas ses collègues. — Tu devrais aller chez le coiffeur… Tu te négliges… Christiane ne s’était jamais remise de son aventure avec Philippe, elle se traînait d’heure en heure, portant seule comme un terrible et éternel fardeau, la réponse négative, le « Non », qu’elle avait, un jour dans sa vie, donné à Philippe. Dépressive, devenue avec le temps obèse, elle ne prenait plus aucun soin d’elle et pire, elle osait avouer qu’elle ne croyait plus – et cela depuis déjà de nombreuses années - à cette logique de vie si patiemment construite avec Muriel, cette terrible logique qui justifiait jusque dans les moindres détails le cours leurs ...
    ... histoires et de leurs existences présentes. Un jour comme tous les autres, Christiane se fit renverser par une voiture, un jour d’automne. Elle avait 67 ans. On la transporta à l’hôpital, Muriel vint la voir trois fois, puis Christiane mourut, tout simplement. À son enterrement - il pleuvait - Muriel tentait de pleurer, deux cousins éloignés trépignaient d’impatience et de froid, le curé fit un discours lénifiant sur les vertus préservées de Christiane. On se sépara vite. On solda sa vie. Dans son fauteuil, bien assise, toujours très droite, Muriel, les yeux vitreux - à 81 ans - regarde sans le voir le vase de cristal posé sur son buffet ciré. Elle pense tristement aux quelques personnes qui ont composé sa vie : à Gérard bien sûr, maintenant grand-père, à Christiane, son amie de toujours, à ses parents, à l’unique baiser qu’elle avait échangé - ou plutôt que lui avait volé - à 12 ans, un camarade de classe dont elle a oublié le nom, à la flamme qu’elle voyait briller dans les yeux de ce Jérôme lorsqu’il la regardait - elle avait 16 ans - mais qu’elle avait méprisé, à l’immense vide de sa vie d’étudiante, à l’abîme sans fond de sa vie d’adulte. Elle se lève, allume la télévision, repose la télécommande à la place qui lui sera toujours réservée, lève la tête vers l’écran : une splendide poupée repousse avec assurance les avances d’un demi-dieu entreprenant. 
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