1. L'orgueil des damnées


    Datte: 22/06/2021, Catégories: fh, Oral init, fantastiqu,

    Un dimanche matin, très tôt, alors qu’il n’y avait pas suffisamment de personnel pour surveiller efficacement les malades, elle s’est enfuie en profitant de l’occasion sans hésiter, tout simplement en passant par une fenêtre que quelqu’un avait déverrouillée et laissée ouverte par négligence, puis en escaladant le haut mur de béton gris. Elle se sentait toute légère et n’a pas éprouvé de difficulté pour franchir cet obstacle. De la première étape de sa course éperdue, elle a gardé le souvenir de la sensation grisante de l’herbe fraîche du parc sous ses pieds nus. Sa peau n’était couverte que du pyjama de couleur incertaine et à l’odeur infecte qu’on lui avait donné pour tout vêtement, dès son arrivée, lui confisquant la jolie robe rouge qu’elle portait alors et qu’elle aimait bien. Elle a couru au hasard, de toutes les forces qui lui restaient, parfois obligée de s’arrêter pour marquer une pause, essoufflée. Ses longs cheveux bruns et emmêlés la gênaient ; elle était constamment obligée de les repousser pour éponger la sueur qui lui brouillait la vue. Ses pieds vulnérables se sont blessés sur le trottoir goudronné, au contact du verre brisé d’une bouteille qui traînait. Cela ne l’a pas ralentie. Galvanisée par sa liberté retrouvée, les veines gorgées d’adrénaline, elle ne ressentait aucune douleur. Elle se retournait souvent, pour vérifier que les infirmiers ne la poursuivaient pas, et reprenait sa course, rassurée, car les rues étaient presque désertes. Les rares passants ...
    ... qu’elle a croisés, des fêtards attardés, la regardaient bizarrement, sans doute à cause de sa tenue peu banale. Son énergie s’épuisant, elle a voulu se cacher. Sans choisir, elle est entrée dans le seul bar ouvert qu’elle a croisé dans sa fuite. Un homme était assis sur l’un des tabourets hauts, près du zinc, et buvait du café. Il n’y avait personne d’autre dans la salle. Il a tourné la tête et l’a regardée, l’air incrédule. Elle s’est forcée à lui sourire. C’est à peine s’il l’a regardée. Sans même finir sa tasse, il a fouillé ses poches pour laisser des pièces de monnaie sur le comptoir, puis l’a emmenée chez lui, sur un unique mot : « viens », à voix basse. Sans se poser de questions, elle l’a suivi et elle est montée dans une voiture, un véhicule ancien au long capot anthracite et aux sièges en cuir noirs et profonds. Il a démarré dans un dégagement de fumée noire. L’habitacle sentait le tabac froid et le gasoil. En conduisant, l’homme a commencé à lui palper la cuisse gauche par-dessus le tissu fin, tout en tenant son volant de l’autre main. Il ne la regardait pas, même arrêté aux feux rouges. Ces attouchements ne l’empêchaient pas de fumer tout en conduisant. L’apparence de son visage ne lui donnait pas d’âge, ni vieux ni jeune, le crâne rasé, un regard obscur, presque inexpressif. Même ses mains toutes lisses ne parlaient pas de lui. Elle non plus n’a rien dit durant ce court voyage. Même pas son prénom, Charlotte. Même pas qu’elle avait vingt-six ans. Même pas qu’elle ...
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