1. Douze mètres sous la surface, Alain et Eve...


    Datte: 31/07/2018, Catégories: nonéro, mélo, sf,

    ... bon ? S’il te faut une preuve, pense à ceci : quel que soit l’amour que l’on se porte, toi et moi, l’un de nous deux peut quitter l’autre n’importe quand. En mourant, tout simplement…— C’est bon, arrête de déconner ! Il n’est pas question que tu meures, ni que tu me quittes, d’ailleurs ! Je te l’interdis !— Je n’en ai pas l’intention, rassure-toi. Mais si jamais ça devait nous arriver, si tu te retrouvais seule… Et là, voyant mes yeux rougir, Piotr s’était interrompu. Il m’avait enlacé, me serrant contre lui en murmurant des mots tendres. Je me souviens qu’à l’idée de le perdre, j’avais ressenti un grand vide dans la poitrine. Aujourd’hui pourtant, une pensée fiévreuse semait le trouble dans mon esprit. Et si Piotr avait saisi cette occasion pour m’annoncer de façon détournée une tromperie ? Avait-il toujours été fidèle ? Je n’avais aucun moyen de le savoir. Mes larmes avaient retenu ses mots. Et surtout, je ne lui avais jamais posé la question. Ni à ce moment-là, ni à aucun autre. Peur inconsciente de la réponse ? « Si jamais ça devait nous arriver, si tu te retrouvais seule… » — Oui, et bien quoi, Piotr ? Que voulais-tu me dire, exactement ? « Si jamais ça devait nous arriver… » — Piotr, pourquoi tu m’as fait ça ? « Si tu te retrouvais seule… » — Va te faire foutre ! Pourquoi n’est-ce pas moi qui suis morte… Cette nuit-là, j’ai très mal dormi. Je crois même que j’ai pleuré dans mon sommeil. Beaucoup de rêves, d’images tristes, mais pas de cauchemars à proprement parler. ...
    ... Enfin, je veux dire, pas le genre de cauchemar où la tête tranchée de Piotr me conjurait de reprendre des forces. Depuis que j’avais décidé de vivre, cette vision horrifiante avait cessé de me hanter, heureusement. Non, c’était plutôt une suite de songes mélancoliques, mêlant souvenirs réels et chimères délirantes. Seul le dernier de ces rêves était encore parfaitement clair. Piotr et moi étions au bord d’une falaise vertigineuse, un long mur calcaire, immensément haut. C’était à Bonifacio, je pense, là où nous avions passé nos toutes premières vacances ensemble. À l’époque, je me rappelle avoir eu très peur, quand Piotr s’était avancé près du vide. Dans mon rêve, nous étions assis juste au bord de l’à-pic, les jambes pendantes. Cent mètres plus bas, la mer s’écrasait avec fracas sur les rochers. Mais je n’avais aucune crainte ; Piotr était là, rien de mal ne pouvait arriver. Épaule contre épaule, nous regardions le coucher du soleil embraser l’horizon, transperçant de ses rayons rosés les nuées violettes, baignant tout ce qui nous entourait de cette lumière ocre qui n’appartient qu’à la Corse. C’est alors que je me suis rendu compte que mon mari devenait peu à peu translucide. Son visage et ses mains perdaient de leur consistance, comme un mirage se dissolvant dans l’air du soir. À travers son front et ses joues, je pouvais deviner les contours du port de pêche. Je devais arrêter ça ! — Piotr !— Oui, mon Ange ?— Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es en train de disparaître !— Je sais… ...