Reflux
Datte: 22/06/2017,
Catégories:
nonéro,
... sous-dossiers cartonnés. Ses doigts gras tachaient les factures, traitaient sans manière les documents de toute sorte. « Ça t’énerve hein », rigola-t-il à voix haute. Tout ça même aujourd’hui ne le laissait pas totalement insensible. Il retrouva des photos. C’était lui enfant certainement. Sur une corniche — avec ses parents ? — contemplant les rouleaux blancs de l’océan. Du vent dans les cheveux. Pas de souvenir particulier. D’autres photos, maison de campagne, Noëls et anniversaires divers. Cérémonies. Le voilà qui pose en habits de communiant avec sa croix en or devant une église de campagne. Des écoles. Diverses. Ça lui arrivait de sourire ? Il aurait giflé cet enfant hautain. Pour qui te prends-tu, merdeux ? Papier peint triste. Chambres ternes. Regards fatigués. Pas de frère, pas de sœur. À priori. Il égrenait les photos, jaugeait le garçon puis le jeune homme. Un étranger. Remises de diplômes. École de médecine. Médecin. Merde, médecin. C’était bien ça. Donc. Il était confus et nerveux. Les souvenirs affluaient par la porte ouverte. Une grande partie de son existence lui revenait maintenant. Il se traîna jusqu’à la salle de bain et ouvrit un petit placard mural. Soigner les gens, réparer les corps. Dans l’armoire, des calmants, anxiolytiques, antidépresseurs. Des dizaines de boîtes :Zoloft, Deroxat, Seropram, léxomil, Urbanyl, Xanax. De quoi détruire la libido d’une ville entière. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer ? « Tout va rentrer dans l’ordre, Sam. » Du sang ...
... sur les murs. Du sang sur lui. Il eut envie de hurler. Il avait tué quelqu’un ? C’est ça ? Il avait tué quelqu’un ? Il s’assit et joua un moment avec une boîte de calmants, tâchant de refréner l’envie d’avaler la boîte. Le glissement des pilules, si agréable. Oui, ça revenait. Il avait été un jeune médecin. Et il avait exercé dans son propre cabinet. Peut-être dans la périphérie. Vivait-il encore chez ses parents ? C’était bien possible, oui. Parce qu’à vrai dire, à bien y réfléchir, il ne se rappelait pas avoir été marié ni même avoir entretenu une liaison quelconque. Mais peut-être que d’autres souvenirs allaient remonter à la surface. Il avait fait ce qu’il pouvait. Quelle tristesse, soudain. Quelle tristesse ! Des heures et des heures, des jours entiers à traquer les symptômes. Les corps s’étaient succédé, des centaines, des milliers. Il y avait une fenêtre derrière lui, derrière son bureau, une petite fenêtre qui traquait la lumière. C’était un bâtiment ancien, soumis à de brusques courants d’air et à de désagréables relents de canalisations abîmées. Il s’était senti si seul dans ce cabinet minuscule. Les rendez-vous s’enchaînaient, il les notait sur son grand agenda. Les jours s’épuisaient. Sa jeunesse, déjà bien entamée par les études, n’existait plus que sur ces clichés tristes d’étudiants qui lui paraissaient alors comme autant de reflets d’une époque bénie. Était-ce bien la réalité ? Avait-il même jamais été jeune ? Les patients se déshabillaient. S’allongeaient sur ...