1. Reflux


    Datte: 22/06/2017, Catégories: nonéro,

    ... Ses traits étaient fripés jusqu’à l’os, les rides creusaient de profonds sillons sur sa peau sèche. Des cheveux blancs, longs et fins, tombaient sur ses frêles épaules. Féminité oubliée. Jeunesse morte. Parfum aigre. Elle avait souri. Sans cesser de fixer le plafond. Ses petits yeux bleus scrutaient. Cherchaient quoi ? Son corps chétif se secouait de façon étrange. Désolidarisée. Ici, son ventre crénelé remuait légèrement, là, c’était son sein maigre et tombant qui tressaillait, là encore, son épaule semblait prise d’un soubresaut. Il savait reconnaître l’imminence de la mort lorsqu’elle entrait dans son cabinet. N’ignorait pas ses signes. Et ce corps presque nu, décharné, ne montrait rien d’autre. Sam l’avait observée un long moment. Jusqu’à ce qu’elle tourne vers lui un regard interrogateur. « Je suis désolé, Madame W, je suis vraiment désolé, je ne peux pas. Je ne peux pas. » Et ce n’étaient pas que des mots. Son corps refusait de se plier à ses injonctions. Il avait répété « Je ne peux pas. Je ne peux pas ». Et son regard à elle s’était voilé tandis qu’elle essayait de se relever. Déjà morte. Elle avait quitté le cabinet sans mot dire, la tête basse. « Mais vous ne me devez rien, l’avait accompagné Sam, vous ne me devez rien. » Sam jeta le flacon de calmants sur le sol. Ça se brisa. Ça se répandit. Se leva. Passa ses vêtements. La robe, la cape, et quitta l’appartement. Il n’avait plus rien à faire là. Alors qu’il marchait, bâton à la main, vers la grande tour sombre aux ...
    ... lettres de sang, son passé se recomposait. La foule de fin de journée était dense. À proximité du quartier d’affaires, elle devint étouffante. Une forêt de jambes. Cette triste cadence, comment l’oublier ? Tout se remettait, tout s’emboîtait. En tout cas, c’était douloureux, indéniablement ça tiraillait. Brûlures d’estomac, nausées, vertiges. Là, ça devenait franchement déplaisant, songea Sam en jouant du bâton près d’une bouche de métro. « Ils m’écraseraient ces connards, ils m’écraseraient, nom de Dieu. » À croire que ces quartiers d’affaires ne désemplissaient jamais. Même l’été. Des gars portés par des escalators fatigués descendaient en grappe sous la terre, emmenaient avec eux la mauvaise lumière du jour. « Vous avez vécu un grand traumatisme, Sam. Il est normal que votre guérison prenne du temps. Mais vous guérirez. » Pièce blanche. Petite lucarne de lumière. « Est-il entravé ? » « Oui. Oui. » Guérir de quoi ? Il s’agita quelque peu, irrité, dans la marée humaine. Mallettes, talons qui claquent sur les larges dalles. Il se sentait affreusement mal. Maintenant, il était dans l’ombre de la grande tour. Ce sigle au sommet, ça aurait aussi bien pu pisser le sang sur les verrières. On aurait dit des veines palpitantes prises dans une lumière souffreteuse. Depuis le hall gigantesque, depuis la grande porte tournante, des hommes et des femmes sortaient en nombre. Heure de pointage. Quelques sourires. Il y avait des bancs, il en choisit un et s’assit. Esplanade grise encadrée ...
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