Reflux
Datte: 22/06/2017,
Catégories:
nonéro,
... de fleurs fatiguées. Quelques arbres aussi. Il regardait les gens, tâchait de bien fixer son attention. Certains visages ne lui étaient pas inconnus. Nerveusement, il tapait avec son bâton sur le sol. On lui jetait des regards en coin, un peu effrayés. Son attention se fixa à nouveau sur les lettres rouges. Du sang. Il se rappelait du sang. Un fusil. Un fusil à canon scié. C’est lui qui avait fait ça ? C’est lui qui avait tué quelqu’un, ici ? Sa tête bourdonnait si fort qu’il crut s’évanouir. Ça tanguait. Des vertiges. Un homme et une femme jetèrent vers lui un regard curieux, échangèrent quelques mots en hochant la tête. Il observa la femme. Une collègue. Lui aussi, l’homme, lui aussi. Il en était certain. Ça revenait fort maintenant. Il avait vendu son cabinet. On l’avait engagé comme médecin du travail, la société qui l’employait travaillait exclusivement pour le compte d’une multinationale qui logeait dans la vaste tour sombre. Personnel innombrable. C’était un bon compromis. Ces corps qui le révulsaient, il n’aurait plus à les toucher. Ou si peu alors. Au début, cela avait plutôt bien fonctionné. Les premiers mois, la lente procession des salariés devant l’urinoir lui avait paru cohérente et suffisamment lointaine pour ne pas avoir à se préoccuper outre mesure de leur sort. Il dispensait la bonne aptitude. Tamponnait avec énergie le droit au travail. Étrangement, comme si l’issue n’était pas certaine, un certain soulagement, qui touchait à l’orgueil, ragaillardissait le ...
... regard de ceux à qui il tendait le papier vert. C’est-à-dire tous. À peu de chose près. Examen sommaire, pas de poignée de main. Puis ils s’en allaient d’un pas confiant vers les étages, vers leur bureau, leur siège. Leur place. Ils n’étaient pas en marge. Tant mieux pour eux. Vinrent les premières frictions. Mises en confiance par les années qui passaient, les langues se délièrent. Ils voulaient tous leur papier vert, ça oui, mais avant cela, la longue litanie pouvait commencer. Ils se livraient. À croire que pisser dans un gobelet les enivrait. Ils se fendaient d’un commentaire laconique, d’une remarque rapide / acerbe sur un supérieur, un collègue, un système. Des noms se détachaient. Certains semblaient plus durs que d’autres. Mais globalement, tout le monde en prenait pour son grade. Et tandis que l’infirmière collectait les gobelets d’urine chargée de traces d’antidépresseurs, d’anxiolytiques, d’alcool et de cannabis, Sam s’enfonçait dans son fauteuil en écoutant les tristes énumérations. Mal à la tête, vertiges, blocages du dos, du poignet, des jambes, douleurs dans les articulations, troubles oculaires. Insomnies. Angoisses. Terreurs nocturnes. Ils étaient tous dedans. Jusqu’au cou. Le corps exigeait des comptes, le corps voulait réparation pour le destin dérisoire de fourmi qui l’attendait. Il y en avait quand même, souvent des responsables, qui affichaient un enthousiasme de bon aloi et une santé a priori mieux adaptée au difficile contexte du tertiaire, mais, même ...