1. Reflux


    Datte: 22/06/2017, Catégories: nonéro,

    ... mirent à rigoler. C’est du rat, dit l’un des enfants. Accent du sud. Peut-être napolitain. Sam secoua la tête, effaré. Rassure-toi, ça se mange. Et il croqua à son tour dans sa brochette. Sam avait faim. Vraiment. Aussi se décida-t-il, et, pensant à un plateau de fruits de mer glacé, fit ce qu’il put avec le rat grillé. Il fallait bien se nourrir. À la réflexion, ça ressemblait à du lapin. Mais un lapin avarié alors. Ils restèrent un long moment autour du feu, savourant la nuit qui s’installait et la relative fraîcheur qui accompagnait le mouvement. Quelqu’un avait eu la bonne idée de faire du café. Sam demanda comment ils avaient pu s’en procurer, comme s’il s’agissait d’héroïne pure. Le gamin à l’accent italien (Livio était son nom lui apprit Kevo) dit : — Où crois-tu être ? C’est un supermarché ici. Les autres rigolèrent. On trouve de tout. C’est notre pays !— Alors pourquoi on mange du rat ? demanda, amer, Sam G.— Pour la viande, c’est un peu plus difficile, précisa Kevo. On prend que ce qui est fermé dans des emballages. La viande ne résiste pas à la benne. Alors, il faut prendre ce qui est vivant ici, avec nous. Les rats, les oiseaux. Les chats.— Le Paradis, ajouta Livio, c’est quand on trouve des boîtes de conserve. Là, on peut manger de la viande mais on les garde en cas de problème. Quand la chasse aux rats est trop difficile, à cause de la pluie ou du froid. Sur ces mots, il vint s’assoir à côté de la petite fille avec l’œil abîmé. « Une tumeur, jugea Sam, ça ne ...
    ... peut être qu’une tumeur. » Et l’aida à finir sa brochette. « Mange, Celia, mange », dit-il d’une voix douce. Il y avait peu de filles au demeurant. Bien qu’au début il lui ait été difficile de les distinguer derrière leur masque à gaz et la crasse qui masquaient les visages, Sam avait finalement dénombré six filles de cinq ans à quinze ans, au jugé. C’était peu. Il y avait sans doute des explications. Mais il doutait qu’on lui en fournisse. Ces gamins n’étaient pas bavards. Sam G fit la moue. Le café avait un goût. Mais ça le détendit un peu. C’était déjà ça. Au loin, le quartier d’affaires scintillait de lumière. La ville entière semblait vibrer sous les caresses du croissant de lune. À cette distance, tout avait l’air si confortable. Quant à la déchetterie, dans la nuit, elle ressemblait à n’importe quel terrain. Juste l’odeur en somme, mais enfin, c’était un détail d’importance. — Pourquoi t’as pas de cheveux ? demanda l’un des enfants, le plus petit. Sam passa sa main sur son crâne. Ça lui rappela des choses. Encore une pièce blanche. Lui, seul, dans la lumière dévorée par les persiennes. Face à un miroir. Nu. Fort et dur. Sa tête au-dessus de l’évier, il entend le grésillement de la tondeuse. Relève la tête. S’observe dans la glace. Glabre, rasé, pas un putain de poil. — Pourquoi t’as pas de cheveux ? répéta l’enfant.— Je ne sais pas. Ça me semble plus propre. Nouvel éclat de rire général. Kevo cracha dans le feu. — Vous vivez depuis longtemps ici ? continua Sam G qui ...
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