L'orgueil des damnées
Datte: 22/06/2021,
Catégories:
fh,
Oral
init,
fantastiqu,
... poussait pour la laisser passer. Spontanément, les gens sont toujours du côté de la proie, non du prédateur. Ses poursuivants semés, elle est entrée dans la gare. C’était l’heure de pointe du matin. Sur le panneau lumineux étaient annoncés cinquante trains en partance, mais cela ne l’intéressait pas. Seuls les gens « normaux », dont la folie normale reste invisible d’ordinaire, y prêtaient attention. Elle se sentait bien dans l’agitation ce grand bâtiment rempli de bruits et de monde. Elle se voyait au milieu d’une forêt d’arbres immenses où une symphonie de milliers d’oiseaux multicolores emplissait sa tête de chants merveilleux. La voix aiguë des annonces se transformait en une musique étonnante, celle d’une oréade s’accompagnant d’une harpe pour mieux séduire les usagers. Comme le chant semblait venir de partout à la fois, Charlotte cherchait où il fallait aller pour rencontrer cette délicieuse nymphe des montagnes : en hauteur, certainement. Brutalement, en voyant un employé de la sandwicherie couper des morceaux de poulet, elle s’est souvenue d’être déjà venue là. Dans son esprit, c’était longtemps auparavant, bien que les faits se soient déroulés seulement le mois précédent. Vêtue de sa petite robe carmine, elle avait tenu en mains un long couteau de cuisine acheté juste auparavant. Ses narines avaient frémi du sang qu’elle allait répandre. Sans hésiter, elle avait glissé la lame sur sa gorge et appuyé pour en faire sortir la vie, puis s’était évanouie, chutant sur ...
... le béton froid dans les cris des gens épouvantés. Elle avait voulu quitter le monde, mais un vigile était parvenu à la retenir en effectuant un point de compression sur l’artère perforée, puis les pompiers étaient intervenus très vite. Elle s’était réveillée sur un brancard, dans un véhicule roulant sirène hurlante, en direction des urgences où les médecins avaient recousu la plaie qu’elle s’était faite à elle-même. Mais l’autre blessure, celle de son cœur, restait toujours intacte et mystérieuse. Sans doute est-ce un crime que d’exhiber sa mort volontairement, ne serait-ce qu’une tentative de se la donner. C’est même la transgression du tabou le plus puissant qui soit. Pour qu’elle expie sa faute cruellement et faire cesser le scandale, elle a été hospitalisée dans un établissement psychiatrique, sous la contrainte, sur décret du préfet, comme le permet la loi de 2011. La société se défend violemment contre ces gens-là, qui agissent d’une façon très inconvenante parmi la foule. Après avis de deux praticiens indépendants l’un de l’autre, un tampon administratif était tombé sur son dossier, brutal, sans appel, sous le prétexte de la protéger contre elle-même. Le lendemain, elle s’était réveillée en enfer. Avec rage et orgueil, elle avait refusé sa cage, tenté une première fois de fuir, en vain, puis repoussé toute nourriture. La fuite a toujours été sa principale stratégie. Elle s’était aussi échappée dans ses rêves, indifférente à tout. Alors, pour la punir, les infirmiers ...