1. L'orgueil des damnées


    Datte: 22/06/2021, Catégories: fh, Oral init, fantastiqu,

    ... l’avaient solidement sanglée sur son lit et nourrie par une petite aiguille plantée à demeure dans son bras, condamnée à n’avoir pour tout paysage que le plafond de sa chambre isolée. Elle pleurait à longueur de journée et de nuit ; elle hurlait même parfois. Ils lui avaient injecté des médicaments perforant la porte de ses veines et de son esprit, goutte à goutte, incolores, indolores, pour qu’elle se calme et soit enfin docile. Elle s’était calmée, bien sûr, mais en entrant dans une léthargie qui était un état intermédiaire entre la vie et la mort. Alors, pour échapper à ce supplice, parce que les instincts de conservation et de dignité personnelle demeuraient en elle, elle avait fait semblant de devenir raisonnable, et progressivement, son sort s’était adouci : on lui avait permis de se nourrir elle-même, puis retiré sa perfusion et les médicaments étaient devenus des comprimés à avaler. Après son évasion, revenue sur le lieu même de sa tentative de suicide où toutes les traces avaient été nettoyées soigneusement, elle s’est rappelé son parcours tourmenté. Puis elle a erré dans le hall une journée entière, apaisée, radieuse. Dans un enchantement, sa forêt devenait un océan tantôt calme, tantôt mugissant d’une soudaine tempête humaine, son corps un radeau flottant sur la marée des gens pressés et les puissants projecteurs fixés aux poutrelles métalliques des soleils orangés tournant dans une valse effrénée au rythme des départs et des arrivées. Une fois la nuit tombée, elle ...
    ... a su ce qu’elle avait à faire. C’était tout simple : elle s’est demandée pourquoi elle n’a pas procédé ainsi la première fois. Trouvant les escaliers qui menaient dans la zone réservée au personnel, elle a ainsi pu grimper sur le toit. Personne n’a remarqué sa présence, comme si elle s’était déjà rendue invisible des vivants. Tout en haut, le ciel étoilé l’a accueillie de tous ses feux. Elle s’est approchée du rebord, se préparant à sauter à pieds joints dans le vide. Les lumières scintillantes de la ville l’attendaient en bas. Elles l’appelaient comme les sirènes invitent les marins à s’approcher des rochers affleurant la mer, promettant l’apaisement et la joie sans limites à qui les rejoindra. Une main s’est posée sur son épaule. Elle en connaissait la chaleur et n’a pas sursauté ni eu besoin de se retourner pour reconnaître l’homme du bar. Il avait suivi cette femme toute la journée, discrètement. Il n’a pas voulu la laisser s’envoler seule. Enfin, Charlotte s’est décidée à affronter cette présence et s’est retournée. Ses grands yeux bruns exprimaient une très grande tristesse. À nouveau, on l’empêchait de fuir le monde. Pourtant, le regard lumineux qui se détachait de la nuit profonde, loin de la juger sévèrement, l’invitait au voyage vers un ailleurs mystérieux. L’homme lui a pris la main, sans poser de question. Le silence entre eux a duré longtemps. — Je t’ai attendu longtemps, a enfin dit l’ange-qui-n’a-pas-de-nom. Mais je savais que tu viendrais.— Pourquoi, a-t-elle ...
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