1. Où sont passés les poivrons jaunes ?


    Datte: 19/06/2017, Catégories: caférestau, nonéro, amiamour, consoler,

    ... reste de croissant sur le comptoir. J’ai à nouveau croisé mon regard dans ce putain de miroir lisse. J’avais l’air lisse, moi aussi. Et pourtant, je me sentais faite de pics et d’aspérités, durs, sévères, et aussi de meringue molle et qui colle aux doigts. Dans mon image, ça ne se voyait pas. On distinguait juste les traits de mon visage, lisses, mes cheveux, lisses, et ma bouche qui faisait la moue, lisse également. Et mes yeux étaient vides. Faisait chier, tout ça. Bien sûr, c’était pas la première fois que j’avais des pensées existentielles. Néanmoins, je prenais conscience de tout un tas de réalités qui ne m’avaient jamais réellement effleurée. Comme ce foutu regard qui cache tout, ou ne dévoile rien, kif-kif. On s’imagine des choses ou au contraire, on ne voit rien, et il s’y passe de méga-conflits qui font chier. Alors voilà, c’était ça, le secret de la réussite dans l’amitié homme/femme. Juste que l’un et l’autre, ou l’un ou l’autre, ne savaient pas lire le regard de son ami. Ou que son ami était super bon comédien, et ne montrait pas ce qu’il pensait vraiment. — Donc… ça n’existe pas, ai-je murmuré douloureusement.— Je n’ai pas dit ça, s’est étonné Pascal. Je l’ai dévisagé. Il semblait embêté pour moi. Au moins, ça, je le percevais. — Explique ? ai-je intimé, et j’étais plus directe cette fois.— J’imagine que l’on peut être parfaitement ami avec un ex, a déclaré Pascal.— Pourquoi ?— Ben parce qu’il n’y aurait plus de désir entre les deux personnes. Vu qu’il aurait ...
    ... déjà été comblé.— Mouais. C’est mort alors, puisque je n’ai jamais couché avec Fabrice…— Euh…— … et qu’évidemment, je ne compte pas coucher avec lui.— Ah.— Voilà… c’est tout. Je crois bien que je peux tirer une croix sur mon amitié avec lui. Pascal n’a rien dit. Il s’est contenté de me regarder. Et moi, je pensais à Fabrice, et mon cœur était tellement lourd. Et je ne pouvais pas m’empêcher d’observer à la dérobée les doigts de Pascal, toujours immobiles tout près de ma peau nue. Je sentais qu’il avait raison. La preuve était là, sous mes yeux. Cette main qui avait envie mais n’osait pas, cette main qui était le prolongement d’une idée, d’un désir ; cette main comme le commencement d’un rapprochement physique, l’anticipation de caresses à venir, de frissons et de vertiges. Les hommes avaient des mains, les femmes avaient un cerveau qui les conduisait à fantasmer sur les mains, voilà où on en était, c’était la panade complète et je n’arrivais toujours pas à remettre de la couleur dans mes plats. * Un énième klaxon me tire de ma torpeur avinée. J’ai froid, maintenant. La bouteille ne parle plus. Pleine de vacuité, elle a arrêté de me causer depuis un moment. Il n’y a plus que moi sur ce balcon noctambule. Moi et mes pensées qui tournent en rond, moi et mes souvenirs de Fabrice, qui me font mal, mal, mal… Je me lève avec précaution, la chaise de jardin racle sur le dallage, ça fait un boucan d’enfer. Je sens que dès potron-minet, le voisin du dessous va venir me saouler. Peu ...